Wednesday, September 29, 2004

AFFAIRE SABOU ET PIRCALAB c. ROUMANIE Requête no 46572/99 - 28 septembre 2004

DEUXIÈME SECTION





AFFAIRE SABOU ET PIRCALAB c. ROUMANIE
(Requête no 46572/99)









ARRÊT


STRASBOURG
28 septembre 2004

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Sabou et Pircalab c. Roumanie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,A.B. Baka,L. Loucaides,C. Bîrsan,
K. Jungwiert,M. Ugrekhelidze,Mme A. Mularoni, juges,et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 septembre 2004,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 46572/99) dirigée contre la Roumanie et dont deux ressortissants de cet Etat, MM. Dan Corneliu Sabou et Cãlin Dan Pîrcãlab (« les requérants »), avaient saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme le 25 septembre 1998 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants sont représentés par Me Monica Macovei, avocate au barreau de Bucarest. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme Roxana Rizoiu, du ministère des Affaires Étrangères.
3. Les requérants alléguaient une violation de leur droit à la liberté d'expression, garanti par l'article 10 de la Convention, en raison de leur condamnation après la publication d'une série d'articles dans un journal local. Le premier requérant alléguait que l'interdiction de ses droits parentaux avait porté atteinte au droit au respect de sa vie familiale, garanti par l'article 8 de la Convention. Il se plaignait également de ne pas avoir disposé d'un recours effectif, tel que garanti par l'article 13 de la Convention, contre la violation alléguée de son droit au respect de sa vie familiale.
4. La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d'entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole no 11).
5. La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.
6. Par une décision du 2 septembre 2003, la chambre a déclaré la requête partiellement recevable.
7. Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
8. Les requérants sont nés respectivement en 1971 et 1968 et résident à Baia Mare. Ils sont journalistes au quotidien local « Ziua de Nord-Vest ».
A. Les articles incriminés
9. Le 2 avril 1997, ils publièrent un article intitulé « L.M., la mère de la présidente du tribunal de première instance de Baia Mare, a abusivement privé de leurs terrains douze paysans. » Une partie de l'article est reproduite ci-après :
« Le représentant d'un groupe de douze paysans du village de Mânãu du département de Maramureş s'est présenté à la rédaction de notre journal et nous a présenté des documents qui attestaient leur droit de propriété sur un terrain connu sous le nom de Vapa. Sur la base du décret no 444/1953 (...), ils sont devenus propriétaires de quelques parcelles de terrain. A partir de 1992, la Mairie de Ulmeni leur a délivré des titres de propriété sur ces parcelles. Toutefois, en 1993, ils ont été abusivement privés de leurs terrains. La personne qui est entrée en possession de ces terrains est L.M., la mère de la présidente du tribunal de première instance de Baia Mare. Elle avait obtenu un titre de propriété et elle avait ensuite loué ces terrains. Les paysans nous ont déclaré qu'ils ne savaient pas comment récupérer les terrains, parce que la présidente du tribunal exerçait une grande influence sur les autorités locales. »
10. Le 3 avril 1997, le premier requérant publia un deuxième article intitulé "La présidente du tribunal affirme que sa mère avait le droit d'obtenir le terrain qui avait appartenu à douze paysans d'Ulmeni". Une partie de l'article est reproduite ci-après :
« La présidente du tribunal affirme que sa mère avait le droit d'obtenir le droit de propriété sur les terrains en question parce qu'en 1953, elle avait été obligée d'en faire don à l'Etat. La loi de l'époque prévoyait que les fonctionnaires devaient choisir entre leur emploi et leur droit de propriété sur leurs terrains. L.M. avait gardé l'emploi et par conséquent, son terrain avait été attribué à quelques paysans. Après décembre 1989, elle a revendiqué son ancien terrain. Les autorités locales ont proposé aux paysans qui avaient déjà des titres de propriété sur le terrain litigieux d'accepter, en compensation, des terrains sur d'autres emplacements. Parce que l'influence dont jouit la présidente du tribunal était plus grande que les souhaits des paysans, L.M. a eu gain de cause et a obtenu un titre de propriété sur ces terres. Hier, nous avons essayé de contacter la présidente du tribunal. Un juge nous a informé que « la présidente n'est pas dans son bureau », bien qu'auparavant, d'autres fonctionnaires nous aient dit qu'elle y était. De plus, notre demande de savoir le nom complet de la présidente a été rejetée au motif qu' « une telle information ne pouvait pas être fournie ». Comme M.I. n'est que la présidente du tribunal, et non pas un agent secret, nous ne voyons pas pourquoi son nom ne pouvait pas être divulgué. »
11. Le 10 avril 1997, le premier requérant publia un autre article intitulé « La présidente du tribunal est accusée de faux et d'usage de faux documents ». Une partie de l'article est reproduite ci-après :
« M.I. a bénéficié de l'aide de l'ancien préfet D.B. Effrayée par les éventuelles conséquences, elle recourt aux menaces. La police enquête sur l'affaire.
(...) M.I. a essayé d'utiliser de faux documents pour déposséder un voisin de son terrain. De surcroît, quand elle s'est rendue compte qu'elle ne pouvait pas obtenir gain de cause dans l'action qu'elle avait introduite, elle l'a menacé directement. Notre rédaction possède quelques documents qui attestent ces faits. Il est important de mentionner que M.I. a refusé de confirmer ou de contester l'authenticité de ces documents. Elle a exprimé son mécontentement quant aux articles que nous avons publiés et, par conséquent, elle refuse toute déclaration.
La famille de M.I. occupe abusivement un terrain
I.C. habite la rue du 22 Décembre au no 25/3 et il est le voisin de M.I., la présidente du tribunal de Baia Mare. Par décision no 11735/79, la Mairie de Baia Mare lui accorda un droit d'accès à sa maison, à travers un terrain de 396 m2 situé sur un ancien ruisseau appelé « le ruisseau des tziganes ». I.C. a investi une somme importante dans l'aménagement de ce chemin d'accès. Peu de temps après, la famille de M.I. occupa abusivement une parcelle de ce terrain et, même à ce jour, elle continue de le faire. Après l'adoption de la loi 18/1991, I.C. demanda l'attribution en propriété de ce terrain. Par décision no 7609/1993 du préfet, ce terrain, qui était inscrit sur le registre foncier sous le no 1358/3/C/1, lui fut attribué. En vertu de cette décision et après 'innombrables démarches, I.C. réussit à inscrire son droit sur le registre foncier.
Un faux projet de division du terrain est délivré
Bouleversée par cette situation, M.I. obtient en 1995 un nouveau projet de division du même terrain. Le projet, rédigé par l'ingénieur H.C., contenait quelques faux éléments. Tout d'abord, dans la rubrique « propriétaires avant la division » c'est l'Etat qui est inscrit comme propriétaire, bien que I.C. en fût propriétaire depuis 1993. Selon le projet, le terrain abusivement occupé devait être transféré dans la propriété de I.I. [l'époux de M.I.], sous le no 1358/3/C/a. En même temps, la présidente du tribunal introduisit auprès du préfet D.B. une plainte contre son voisin, en demandant l'annulation du titre de propriété qui lui avait été délivré. Le préfet la rejeta et lui conseilla de demander en justice l'annulation du titre, ce que M.I. fit. S'appuyant sur le faux projet de division, le maire demanda au préfet de délivrer à M.I. un titre de propriété sur le terrain dont le propriétaire était déjà I.C. Le préfet s'en rendit compte et informa M.I. que le terrain litigieux était la propriété de quelqu'un d'autre et que, par conséquent, il ne pouvait pas délivrer un autre titre, avant que la plainte contre le titre de I.C. soit tranchée par la cour d'appel de Cluj.
Le préfet change d'avis et enfreint la loi
Jusqu'ici tout est clair. Mais à partir de ce moment, interviennent quelques aspects pour le moins étranges. Par décision no 18 du 16 janvier 1996, la cour d'appel de Cluj rejeta l'action introduite par M.I. et sa famille. Le titre de propriété no 7609/1993 délivré à I.C. resta valable. Toutefois, le 23 janvier 1996, le préfet D.B. adopta la décision no 1037, aux termes de laquelle la présidente du tribunal et sa famille devenaient les propriétaires du terrain inscrit sous le no 1358/C/a, ainsi qu'il était mentionné dans le faux projet de division no 160/95 délivré par l'Autorité administrative pour les inscriptions immobilières et l'organisation du territoire. Il est ainsi certifié une chose absurde. Le même terrain est la propriété de deux personnes, les deux ayant des titres de propriété délivrés par le préfet D.B. Nous sommes donc en présence d'un faux et d'usage de faux. Le préfet D.B. en est le coupable, en raison des titres contradictoires qu'il a délivrés. Il a favorisé la présidente du tribunal, en lui délivrant un titre de propriété, après avoir lui-même reconnu qu'il ne pouvait pas lui attribuer un tel titre. D.B. a été pendant plusieurs années magistrat et président du tribunal départemental de Maramures.
M.I. lance des menaces par écrit
Finalement, nous portons à votre connaissance un document signé par M.I. dans lequel elle menace I.C. de le jeter en prison. « Monsieur C., je vous demande de faire attention aux paroles que vous m'adressez, parce que chaque chose a ses limites. Si vous m'insultez une seule fois encore, soit par écrit, soit verbalement, je vous poursuivrai en justice, en demandant votre condamnation pour insulte et calomnie et je demanderai aussi une indemnisation pour le préjudice moral que vous me causez. FAITES DONC ATTENTION. » I.C. avait eu « l'insolence » de l'accuser des faux mentionnés ci-dessus. La police de la ville de Baia Mare enquête sur cette affaire. »
12. Le 11 avril 1997, les deux requérants publièrent un article intitulé « L'ancien préfet du département de Maramures reconnaît qu'il a commis une erreur dans le cas de la présidente du tribunal de Baia Mare ». Une partie de l'article est reproduite ci-après :
« En vertu d'un document qui contenait de fausses informations, M.I. a demandé et a obtenu de la part du préfet D.B. un titre de propriété sur le terrain litigieux. Quand nous avons demandé au préfet des explications pour cette illégalité, il nous a répondu qu'il était bien possible qu'il ait commis une erreur. Mais le titre peut être contesté en justice, à tout moment, par la personne lésée, nous a-t-il déclaré. J'ai délivré ce titre sur la base des documents reçus de la part de la mairie de la ville de Baia Mare. S'il y avait de faux documents, je n'en suis pas responsable, a-t-il ajouté. Il n'a pas pu nous expliquer pourquoi initialement il avait officiellement refusé la délivrance du titre et qu'ensuite il avait changé d'avis et avait attribué la propriété à M.I. »
13. Le 26 avril 1997, le premier requérant publia un dernier article intitulé « Le parquet n'a pas le courage d'enquêter sur la présidente du tribunal de Baia Mare ». L'article est reproduit comme suit :
« Nous avons porté antérieurement à votre connaissance qu'une plainte pour faux a été portée auprès de la police et du parquet de Baia Mare à l'encontre de la présidente du tribunal de Baia Mare. Elle a abusivement occupé un terrain qui appartenait à un voisin. Ultérieurement, sur la base de documents qui contenaient de fausses informations, elle a obtenu un titre de propriété sur ce terrain. Après une enquête, la police a proposé au parquet une décision de non-lieu pour l'infraction de faux en écritures publiques, au motif qu'il s'agissait en l'espèce d'un droit d'accès sur un terrain et que par conséquent, le litige relevait du droit civil. Quant au volet pénal, aucune infraction n'a pu être retenue à la charge de M.I. Le document est signé par le procureur en chef du parquet auprès du tribunal de première instance de Baia Mare. »
B. La procédure pénale à l'encontre des requérants
14. En avril 1997, M.I. introduisit devant le tribunal de première instance de Baia Mare, qu'elle présidait à l'époque, une plainte à l'encontre des requérants pour diffamation. Elle demandait aussi une indemnisation pour préjudice moral.
15. Sur demande de M.I, le 29 août 1997, la Cour suprême de Justice ordonna le renvoi de l'affaire devant le tribunal de première instance de Năsãud.
16. Par jugement du 15 décembre 1997, le tribunal condamna le premier requérant pour diffamation à une peine de dix mois de prison assortie de la peine accessoire prévue par les articles 71 et 64 combinés du Code pénal, à savoir l'interdiction pendant la détention de l'exercice de sa profession, et de ses droits parentaux et électoraux. Pour établir le quantum de la peine, le tribunal prit en compte le fait que le requérant était en récidive, ayant été à deux reprises condamné auparavant.
17. Le tribunal retint que la mère de M.I avait légalement obtenu la propriété du terrain litigieux. Le tribunal estima que les allégations des requérants concernant les faux documents, leur usage et l'influence que la juge aurait exercée auprès des autorités locales, étaient très graves et avaient été faites d'une manière particulièrement diffamatoire, sans avoir de support concret. Il considéra que le caractère diffamatoire des allégations était prouvé par l'ordonnance de non-lieu du parquet rendue en faveur de M.I., qui démontrait le caractère mensonger des accusations de faux et d'usage de faux documents.
Le tribunal condamna également le second requérant pour diffamation à une amende de 500 000 lei roumains (ROL), à savoir l'équivalent de 62 euros (EUR), avec sursis.
Enfin, il condamna les deux requérants, solidairement avec le journal, au paiement de 30 millions ROL (à savoir l'équivalent de 1 582,42 EUR au moment du paiement) à M.I., au titre de préjudice moral.
18. Les requérants et M.I. interjetèrent appel de ce jugement devant le tribunal départemental de Bistriþa-Nãsãud.
Au cours de l'audience du 27 mars 1998, les requérants demandèrent leur acquittement et versèrent au dossier plusieurs documents visant à prouver la véracité de leurs affirmations : notamment les deux décisions du préfet attribuant le même terrain à deux personnes différentes et les deux projets de division du terrain en vertu desquels les deux décisions avaient été délivrées, les deux refus antérieurs du préfet d'attribuer le terrain en question à M.I., la décision du 16 janvier 1996 de la cour d'appel de Cluj–Napoca validant le titre de propriété d'I.C., la demande faite par la mairie en faveur de M.I, des extraits des registres fonciers, et l'ordonnance de non-lieu du parquet concernant le prétendu faux commis par la juge. Ils ajoutèrent que M.I. avait refusé la publication dans le journal d'une réponse à leurs articles. Le procureur et M.I. demandèrent leur condamnation, au motif qu'ils n'avaient pas fait la preuve de la véracité de leurs affirmations.
19. Par décision du 3 avril 1998, le tribunal départemental de Bistriþa Nãsãud rejeta les appels et confirma le bien-fondé du jugement du tribunal de première instance. Il souligna que, selon l'article 207 du code pénal, pour qu'une affirmation ne soit pas considérée comme diffamatoire elle devait remplir deux conditions : elle devait être véridique et elle devait viser la défense d'un intérêt légitime. Dès lors, il jugea qu'une affirmation pouvait être considérée diffamatoire si elle était destinée à nuire à autrui ou à se venger, même si les faits allégués étaient vrais. Le tribunal conclut qu'en l'espèce, les articles incriminés ne présentaient pas la vérité et qu'il était évident que les requérants n'avaient pas agi de bonne foi ou dans le souci de protéger certaines valeurs morales de la société, mais qu'au contraire, ils avaient voulu porter atteinte à la réputation de M.I.
20. Le 20 août 1998, le premier requérant fut placé en détention. Dans le rapport de l'enquête sociale effectuée le 26 août 1998 à son domicile, la Direction départementale pour la protection des droits de l'enfant mentionnait que le requérant vivait avec sa concubine et deux de leurs enfants issus de relations antérieures, et que, le 24 août 1998, un troisième enfant venait de naître.
Par décision du 22 septembre 1998, le tribunal départemental de Maramureş accueillit pour des raisons familiales, liées notamment aux trois enfants dont il avait la charge, la demande du premier requérant de surseoir à l'exécution de la peine. Il fut libéré le 5 octobre 1998.
Le 14 janvier 1999, le tribunal de première instance de Baia Mare rejeta une nouvelle demande du requérant de surseoir à l'exécution de la peine. Il ne fut pas réincarcéré par la suite.
Le 15 janvier 1999, le requérant commença une grève de la faim et fut hospitalisé à cause de son mauvais état de santé. Il souffrait aussi de tuberculose.
Le 19 janvier 1999, il demanda au Président de la République sa grâce, qui lui fut accordée par décret no 52 du 2 février 1999.
Le 31 mai 2002, le journal paya l'indemnité allouée à M.I., à la place des requérants. Le second requérant remboursa ultérieurement, par déductions mensuelles de son salaire, l'intégralité de cette somme.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
21. A. Code pénal roumain
Article 64
« L'interdiction d'un ou de plusieurs droits mentionnés ci-dessous peut être imposée comme peine complémentaire :
a) le droit de voter et d'être élu dans les organes de l'autorité publique ou à des fonctions électives publiques ;
b) le droit d'occuper une fonction impliquant l'exercice de l'autorité de l'État ;
c) le droit d'occuper une fonction, d'exercer un métier ou une activité dont le condamné s'est servi pour la commission de l'infraction ;
d) les droits parentaux ;
e) le droit d'être tuteur ou administrateur des biens d'un enfant. »
Article 71
« La peine accessoire consiste dans l'interdiction de tous les droits mentionnés à l'article 64.
La détention à perpétuité ou toute autre peine privative de liberté entraîne automatiquement l'interdiction des droits prévus à l'alinéa précédent, pour la période entre la condamnation définitive et jusqu'à la fin de la détention ou à l'intervention d'un décret de grâce qui dispense de l'exécution de la peine (...) »
Article 206
« L'affirmation ou l'imputation en public d'un certain fait concernant une personne, qui, s'il était vrai, exposerait cette personne à une sanction pénale, administrative ou disciplinaire, ou au mépris public, sera punie de trois mois à un an d'emprisonnement, ou d'une amende. »
Article 207
« La preuve de la vérité des affirmations ou des imputations peut être accueillie si l'affirmation ou l'imputation ont été commises pour la défense d'un intérêt légitime. Les affirmations au sujet desquelles la preuve de la vérité a été faite, ne constituent pas l'infraction d'insulte ou de diffamation. »
22. B. Décision no 184/2001 du 14 juin 2001 de la Cour constitutionnelle roumaine sur la constitutionnalité des articles 64 et 71 du Code pénal
« Quant à l'établissement des peines principales, complémentaires ou accessoires et aux conditions de leur application et de leur exécution, la Cour constate qu'il s'agit d'une matière qui relève exclusivement de la volonté du législateur. L'établissement par la loi d'une peine accessoire, à côté d'une peine principale privative de liberté, jusqu'à la fin de la détention, (...) représente une option de politique pénale du législateur, qui a considéré qu'au cours de la détention, le condamné est indigne d'exercer les droits prévus à l'article 64 du Code pénal. De ce fait, il n'y a aucune atteinte aux normes et principes constitutionnels. »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 10 DE LA CONVENTION
23. Les requérants estiment que leur condamnation constitue une ingérence injustifiée dans leur droit à la liberté d'expression. Ils invoquent l'article 10 de la Convention, aux termes duquel :
« 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. (...)
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, (...) pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »
A. Arguments des parties
1. Les requérants
24. Les requérants estiment que l'ingérence dans leur droit à la liberté d'expression n'était pas nécessaire dans une société démocratique.
Ils font valoir que leurs articles ne portaient pas sur la vie privée de M.I., mais sur ses actions et démarches, considérées comme illégales, auprès des plus hautes autorités administratives du département, dans le but de les convaincre de lui octroyer le droit de propriété sur un terrain qui appartenait déjà à une autre personne. Ils considèrent, dès lors, qu'il était de leur devoir de signaler à l'opinion publique les illégalités commises, justement par ceux qui ont l'obligation de faire respecter la loi.
25. Les requérants soutiennent que leurs affirmations avaient une base factuelle, à savoir l'octroi du terrain litigieux à M.I. par décision du préfet du 23 janvier 1996, bien qu'en 1995 le préfet ait refusé deux demandes similaires. De plus, la validité du titre de propriété d'I.C. sur le même terrain avait été confirmée par décision du 16 janvier 1996 de la cour d'appel de Cluj Napoca. Ils font également valoir que le projet de division du terrain sur la base duquel le préfet a attribué le terrain à M.I. était entaché de deux erreurs essentielles, reconnues par le préfet et par le Gouvernement, et qu'ils estiment êtres dues à l'influence de M.I.
26. Ils allèguent que leur bonne foi a été prouvée par le fait qu'ils ont essayé de présenter le point de vue de M.I., mais elle a refusé de leur parler. De plus, ils ont pris contact avec le préfet et ils ont publié ses explications.
27. En dernier lieu, les requérants soulignent que le montant élevé de l'indemnisation allouée à M.I. était disproportionné par rapport au préjudice moral subi et à leurs faibles revenus de journalistes. Quant à la peine de prison et aux peines accessoires imposées au premier requérant, ce dernier estime qu'elles étaient disproportionnées.
2. Le Gouvernement
28. Le Gouvernement admet qu'il y a eu une ingérence dans le droit des requérants à la liberté d'expression, mais il estime que l'ingérence répond aux exigences du paragraphe 2 de l'article 10 de la Convention.
Il soutient d'emblée que les journalistes ont été condamnés pour la manière dont ils ont présenté un litige de droit privé entre la présidente du tribunal de Baia Mare et un tiers, qui était loin de concerner un débat d'intérêt général.
29. Le Gouvernement soutient en outre que les requérants ont attribué à M.I des faits illégaux très graves, à savoir l'usage de faux documents, sans les avoir prouvés et sans qu'ils reposent sur une base factuelle. Il fait valoir que le projet de division du terrain, sur la base duquel M.I. avait demandé au préfet la délivrance du titre de propriété, constituait une simple proposition de démembrement de la propriété de l'État, que le préfet avait acceptée. Par conséquent, bien qu'il y ait eu des erreurs dans le processus d'attribution de la propriété, ce que le Gouvernement concède, il considère que M.I. n'a nullement enfreint la loi par l'obtention du titre de propriété fondé sur le nouveau projet de division.
30. Le Gouvernement soutient également que la publication des articles incriminés constituait un manquement à l'éthique journalistique, car les requérants n'étaient pas de bonne foi. Le Gouvernement est d'avis que les requérants ont prouvé leur subjectivité en se plaçant exclusivement du point de vue de l'une des parties du litige, sans présenter la position de l'autre.
31. Il conclut qu'en l'absence de bonne foi et de base factuelle pour leurs allégations, la condamnation des journalistes était nécessaire pour la protection de la réputation de M.I. et que, dès lors, le montant de l'indemnisation pour préjudice moral était justifié par la gravité de l'atteinte à la réputation de M.I.
32. Quant au premier requérant, le Gouvernement soutient que la peine de dix mois de prison a été imposée uniquement en raison du fait qu'il était en récidive, car, dans ces conditions, la loi permet une aggravation de la peine.
B. Appréciation de la Cour
1. Principes généraux
33. La Cour rappelle que, selon une jurisprudence bien établie, la presse joue un rôle essentiel dans une société démocratique : si elle ne doit pas franchir certaines limites, tenant notamment à la protection de la réputation et aux droits d'autrui, il lui incombe néanmoins de communiquer, dans le respect de ses devoirs et de ses responsabilités, des informations et des idées sur toutes les questions d'intérêt général y compris celles qui concernent le fonctionnement du pouvoir judiciaire (De Haes et Gijsels c. Belgique, arrêt du 24 février 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-I, pp. 233-234, § 37).
34. Si les États contractants jouissent d'une certaine marge d'appréciation pour juger de la nécessité d'une ingérence en la matière, une telle marge se double d'un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l'appliquent (Sunday Times c. Royaume Uni (no 2), arrêt du 26 novembre 1991, série A no 217, p. 29, § 50).
35. Dans l'exercice de son contrôle, la Cour doit analyser l'ingérence litigieuse à la lumière de l'ensemble de l'affaire, y compris la teneur des propos du requérant et le contexte dans lequel ils ont été exprimés, pour déterminer si elle était fondée sur « un besoin social impérieux », « proportionnée au but légitime poursuivi » et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants » (Sunday Times, précité, § 50 et Nikula c. Finlande, no 31611/96, § 44, CEDH 2002-II).
36. La nature et la lourdeur des peines infligées sont aussi des éléments à prendre en considération lorsqu'il s'agit de mesurer la proportionnalité de l'ingérence (Perna c. Italie [GC], no 48898/99, § 39, CEDH 2003-V).
2. Application en l'espèce des principes susmentionnés
37. Il n'est pas contesté que la condamnation constituait « une ingérence d'une autorité publique » dans le droit des requérants à la liberté d'expression, qu'elle était « prévue par la loi » et qu'elle poursuivait un but légitime, « la protection de la réputation (...) d'autrui ». Reste à savoir si l'ingérence était « nécessaire dans une société démocratique ».
38. La Cour relève que les articles incriminés portaient sur des thèmes d'intérêt général et particulièrement actuels pour la société roumaine, à savoir le processus de restitution des terrains et la corruption alléguée parmi les hauts fonctionnaires de l'administration. S'il s'avère souvent nécessaire de protéger les magistrats des attaques graves et dénuées de tout fondement, il est vrai aussi que leur attitude, même en dehors des tribunaux et surtout quand ils se servent de leur qualité de magistrats, peut constituer une préoccupation légitime de la presse et contribue au débat sur le fonctionnement de la justice et la moralité de ceux qui en sont les garants.
Dès lors, la Cour doit faire preuve de la plus grande prudence lorsque, comme en l'espèce, les mesures prises ou les sanctions infligées par l'autorité nationale sont de nature à dissuader la presse de participer à la discussion des problèmes d'un intérêt général légitime (Bladet Tromsø et Stensaas c. Norvège, [GC], no 21980/93, CEDH 1999-III, § 64).
39. Certes, les allégations des requérants étaient graves, dans la mesure où elles accusaient la juge d'avoir commis des illégalités, mais la Cour note qu'elles avaient une base factuelle (a contrario, Barfod c. Danemark, arrêt du 22 février 1989, série A no 149, § 35 ; Perna, précité, § 47). La Cour relève que rien ne prouve que les faits décrits étaient totalement faux et servaient à entretenir une campagne diffamatoire à l'égard de la juge en question. Elle observe également que les articles incriminés ne portaient pas sur des aspects de la vie privée de M.I., mais sur ses comportements et attitudes impliquant sa qualité de magistrate (mutatis mutandis, Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 50, CEDH 1999-VI).
Ainsi qu'il ressort des articles litigieux et des documents versés par les requérants au dossier devant le tribunal départemental, l'administration locale avait commis une faute grave, reconnue par le préfet, dans le processus de restitution des terrains. En effet, par décision du 23 janvier 1996, le préfet avait octroyé à M.I. un titre de propriété sur le terrain litigieux, bien que, sept jours auparavant, la validité du titre de propriété d'I.C. sur le même terrain ait été confirmée par décision de la cour d'appel de Cluj Napoca.
40. La Cour remarque également que le tribunal départemental n'a pas examiné les preuves fournies par les requérants au cours de l'audience du 27 mars 1998, mais qu'il a confirmé le bien-fondé du jugement de première instance qui avait estimé que le non-lieu prononcé par le parquet en faveur de M.I. suffisait à établir que les informations contenues dans les articles étaient fausses.
41. Compte tenu du fait que les requérants ont tenté de prendre contact avec M.I et qu'ensuite, ils ont interrogé le préfet et présenté sa position, la Cour estime qu'il n'y pas de raisons non plus de douter de leur bonne foi.
42. Quant aux peines prononcées, la Cour observe qu'elles étaient particulièrement sévères. Le premier requérant a été condamné à dix mois de prison dont il a effectué quarante-cinq jours, tandis que le second requérant a été condamné à une amende pénale, avec sursis. Tous deux ont été condamnés à payer à M.I. une indemnisation pour préjudice moral de 30 millions ROL, à savoir 1 582,42 EUR au moment du paiement, soit l'équivalent de douze fois le montant du salaire mensuel moyen.
43. La Cour estime donc que la condamnation des requérants était disproportionnée par rapport au but légitime poursuivi et que les autorités nationales n'ont pas fourni des motifs pertinents et suffisants pour la justifier.
Partant, il y a eu violation de l'article 10.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
44. Le premier requérant allègue que l'interdiction de ses droits parentaux a porté atteinte à son droit au respect de sa vie familiale, garanti par l'article 8 de la Convention, aux termes duquel:
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, (...)
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (...) à la prévention des infractions pénales, (...) ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
Il soutient que l'interdiction totale et absolue d'exercer ses droits parentaux pendant la détention et jusqu'à l'obtention de la grâce présidentielle, y compris donc pendant la période où il a été libéré provisoirement pour des raisons familiales et médicales, constitue une ingérence grave dans son droit au respect de sa vie familiale, qui n'est pas justifiée par la prise en compte de l'intérêt des enfants.
45. Le Gouvernement fait valoir que l'interdiction des droits parentaux, comme peine accessoire, s'applique automatiquement, dès qu'une privation de liberté est prononcée. Il souligne que la détention entraîne inévitablement des restrictions à l'exercice normal de la vie familiale et que, de plus, pendant la détention, le condamné n'a plus l'autorité morale pour exercer ses droits parentaux.
46. La Cour note d'emblée que l'interdiction des droits parentaux du premier requérant constitue une ingérence dans son droit au respect de sa vie familiale.
Elle relève qu'il n'est pas contesté, en l'espèce, que l'interdiction se fondait sur les articles 64 et 71 du Code pénal et, partant, qu'elle était prévue par la loi, au sens du premier paragraphe de l'article 8. Reste à savoir si l'ingérence poursuivait un but légitime. A cet égard, la Cour note que, de l'avis du Gouvernement, elle visait la préservation de la sécurité, de la moralité et de l'éducation des mineurs.
47. La Cour rappelle que, dans les affaires de ce type, l'examen de ce qui sert au mieux l'intérêt de l'enfant est toujours d'une importance cruciale (Johansen c. Norvège, arrêt du 7 août 1996, Recueil 1996-III, § 64), que l'intérêt de l'enfant doit passer avant toute considération et que seul un comportement particulièrement indigne peut autoriser qu'une personne soit privée de ses droits parentaux dans l'intérêt supérieur de l'enfant (Gnahore c. France, no 40031/98, § 59, CEDH 2000-IX et Johansen, précité, § 78 ).
48. La Cour observe que l'infraction pour laquelle le requérant a été condamné était totalement étrangère aux questions liées à l'autorité parentale et qu'à aucun moment, il n'a été allégué un manque de soins ou des mauvais traitements de sa part envers ses enfants.
La Cour relève qu'en droit roumain, l'interdiction d'exercer les droits parentaux s'applique automatiquement et d'une manière absolue à titre de peine accessoire à toute personne qui exécute une peine de prison, sans aucun contrôle de la part des tribunaux et sans aucune prise en considération du type d'infraction et de l'intérêt des mineurs. Dès lors, elle constitue plutôt un blâme moral ayant comme finalité la punition du condamné et non pas une mesure de protection de l'enfant.
49. Eu égard ces circonstances, la Cour estime qu'il n'a pas été démontré que le retrait en termes absolus et par effet de la loi des droits parentaux du premier requérant répondait à une exigence primordiale touchant aux intérêts des enfants et partant, qu'il poursuivait un but légitime, à savoir la protection de la santé, de la morale, ou de l'éducation des mineurs.
Par conséquent, il y a eu violation de l'article 8 de la Convention en ce qui concerne le premier requérant.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 13 COMBINÉ AVEC L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
50. Le premier requérant fait valoir qu'il n'a pas disposé d'un recours effectif en droit interne pour contester l'interdiction de ses droits parentaux. Il invoque l'article 13 de la Convention, aux termes duquel :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »
51. Le Gouvernement soutient que le requérant aurait pu soulever devant le tribunal départemental une exception d'inconstitutionnalité de l'article 71 du Code pénal et demander le renvoi de l'affaire devant la Cour constitutionnelle.
52. La Cour rappelle que l'article 13 de la Convention exige un recours pour les griefs que l'on peut estimer « défendables » au regard de la Convention (Boyle and Rice c. Royaume-Uni, arrêt du 27 avril 1988, Série A no 131, § 52). Ce recours doit être effectif et doit habiliter la juridiction nationale compétente à connaître du contenu du grief et à offrir le redressement approprié (Klass et autres c. Allemagne, arrêt du 6 septembre 1978, Série A. no 28, § 64).
53. En l'espèce, le caractère « défendable » du grief tiré de l'article 8 de la Convention ne fait pas de doute puisque la Cour a jugé que le retrait des droits parentaux s'analyse en une ingérence dans l'exercice du droit du requérant au respect de sa vie familiale. Reste à déterminer si le recours devant la Cour constitutionnelle était effectif en pratique comme en droit et habilitait la juridiction nationale compétente à connaître de ce grief et à offrir le redressement approprié.
54. La Cour souligne qu'en droit roumain, le retrait de l'autorité parentale découle de la loi et est automatique, à titre de peine accessoire, dès lors qu'une personne exécute une peine de prison.
Pour autant que le Gouvernement allègue que les requérants auraient eu la possibilité de soulever l'exception d'inconstitutionnalité des articles 64 et 71 du Code pénal et de demander le renvoi devant la Cour constitutionnelle, la Cour réitère son constat lors de l'examen de la recevabilité du grief tiré de l'article 8 de la Convention, selon lequel cette voie de recours ne leur était pas accessible, car il ne leur était pas loisible de soumettre directement à la Cour constitutionnelle l'exception d'inconstitutionnalité mentionnée (mutatis mutandis, Pantea c. Roumanie (déc.), no 33343/96, 6 mars 2001).
55. En tout état de cause, la Cour observe que la Cour constitutionnelle s'était prononcée, par décision du 14 juin 2001 (paragraphe 22 ci-dessus), sur la constitutionnalité de cet article, et l'a jugé conforme à la Constitution, en retenant que l'établissement des peines accessoires, même de manière automatique, relève de la politique pénale du législateur.
56. Dans ces circonstances, la Cour considère que la possibilité, pour le requérant, de soulever l'exception d'inconstitutionnalité des articles 64 et 71 du Code pénal, et de demander le renvoi devant la Cour constitutionnelle, ne constituait pas une voie de recours effectif, de nature à offrir de redressement approprié au grief tiré de l'article 8 de la Convention.
Par conséquent, il y a eu violation de l'article 13 combiné avec l'article 8 de la Convention en ce qui concerne le premier requérant.

IV. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
57. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
58. Le premier requérant réclame 50 000 EUR pour le préjudice moral subi en raison de sa condamnation pénale à dix mois de prison, dont il a effectué quarante-cinq jours, du retrait de ses droits parentaux et de l'aggravation de son état de santé.
Le second requérant demande à la Cour 1 582,42 EUR au titre des indemnités civiles allouées à M.I., montant qu'il a remboursé au journal qui l'avait provisoirement acquitté à leur place. Il fait valoir qu'il a également versé la part du premier requérant, car celui-ci ne disposait pas de ressources suffisantes.
Il sollicite en outre 5 000 EUR pour le préjudice moral subi du fait de sa condamnation pénale et de l'inscription de celle-ci au casier judiciaire.
59. Le Gouvernement n'a pas soumis de commentaires sur ce point.
60. La Cour constate qu'il existe un lien de causalité entre la violation de l'article 10 et l'obligation faite aux requérants de payer solidairement 1 582,42 EUR en réparation du préjudice subi par la juge M.I.
La Cour octroie donc ce montant (1 582,42 EUR) au second requérant, qui l'a effectivement versé.
61. En ce qui concerne le préjudice moral, la Cour estime que les requérants ont subi un tort moral indéniable en raison de leur condamnation pénale. Elle note que le premier requérant a été condamné à une peine de dix mois de prison dont il a effectué quarante-cinq jours, tandis que le second requérant a été condamné à une amende pénale avec sursis. A cela s'ajoute pour le premier requérant le retrait des droits parentaux sur les enfants dont il avait la charge.
62. Compte tenu des circonstances de la cause et statuant en équité comme le veut l'article 41, la Cour octroie en réparation du préjudice moral la somme de 5 000 EUR au premier requérant et de 1 000 EUR au second requérant.

B. Frais et dépens
63. Le premier requérant sollicite le remboursement de 670 EUR pour les frais engagés dans le cadre de la procédure interne, qu'il ventile comme suit :
a) 130 EUR au titre des frais pour les déplacements en vue d'assister aux audiences ;
b) 450 EUR au titre des frais encourus au cours de la détention et de sa grève de la faim pour l'achat de médicaments, de nourriture et pour les visites de son épouse ;
c) 80 EUR pour frais divers (photocopies, téléphone, etc.).
Le second requérant demande le remboursement de 210 EUR dans le cadre de la procédure interne pour frais de déplacement (130 EUR) et frais divers (80 EUR).
Les requérants sollicitent le remboursement de 9 771,78 EUR d'honoraires pour le travail accompli par leur avocate dans la procédure devant la Cour. A titre justificatif, ils fournissent la copie de la convention d'honoraires, conclue le 17 octobre 2003 avec leur avocate, ainsi que le décompte de 99 heures de travail et des tarifs horaires perçus par celle-ci. L'avocate s'est également engagée à ne pas exiger le paiement de ses honoraires jusqu'à ce que les requérants disposent de ressources suffisantes.
64. Le Gouvernement n'a pas soumis de commentaires sur ce point.
65. La Cour observe que les requérants n'ont nullement justifié les frais encourus dans le cadre des procédures internes dont ils demandent le remboursement. En conséquence, elle décide de ne pas allouer de somme à ce titre.
66. En ce qui concerne les frais de la procédure devant la Cour, elle doit rechercher s'ils ont été réellement et nécessairement exposés par les requérants et s'ils sont raisonnables quant à leur taux (Nilsen et Johnsen c. Norvège [GC], no 23118/93, § 62, CEDH 1999-VIII).
Pour autant que les requérants n'ont pas encore versé les honoraires dus à leur avocate, la Cour rappelle que le remboursement d'honoraires ne doit pas se limiter aux seules sommes déjà versées par les intéressés à leurs avocats, car, ainsi qu'elle a déjà statué, une telle interprétation constituerait un facteur décourageant, pour bien d'avocats, de représenter devant la Cour des requérants moins aisés (Zdanoka c. Lettonie, no 58278/00, § 123, arrêt du 17 juin 2004). Elle a toujours accordé le remboursement des frais et dépens dans les situations où les honoraires restaient, au moins en partie, dus par les requérants (Kamasinski c. Autriche, arrêt du 19 décembre 1989, série A no 168, § 115 ; Iatridis c. Grèce [GC] (satisfaction équitable), no 31107/96, § 55, CEDH 2000-XI).
67. En l'espèce, bien que la convention d'honoraires soit conclue après la décision sur la recevabilité de la requête, rien ne montre qu'elle serait factice.
Toutefois, la Cour estime que le montant global réclamé par les requérants au titre d'honoraires d'avocat est quelque peu excessif.
Dans ces conditions et compte tenu des éléments en sa possession, ainsi que de sa jurisprudence en la matière, la Cour, statuant en équité, comme le veut l'article 41 de la Convention, estime raisonnable d'octroyer conjointement aux requérants la somme de 4 000 EUR pour la procédure devant la Cour.
C. Intérêts moratoires
68. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Dit qu'il y a eu violation de l'article 10 de la Convention ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 8 de la Convention en ce qui concerne le premier requérant ;
3. Dit qu'il y a eu violation de l'article 13 de la Convention en ce qui concerne le premier requérant ;
4. Dit
a) que l'Etat défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i. 1 582,42 EUR (mille cinq cent quatre-vingt-deux euros et quarante-deux centimes) au second requérant pour dommage matériel ;
ii. 5 000 EUR (cinq mille euros) au premier requérant pour dommage moral ;
iii. 1 000 EUR (mille euros) au second requérant pour dommage moral ;
iiii. 4 000 EUR (quatre mille euros) conjointement aux requérants pour frais et dépens ;
b) que ces sommes sont à convertir en lei roumains au taux de change applicable à la date du versement ;
c) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 28 septembre 2004 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
S. Dollé J.-P. CostaGreffière Président

Monday, September 27, 2004

H.G nr. 1021/2004 din 25/06/2004 pentru aprobarea modelului comun european de curriculum vitae

HOTARARE nr. 1.021 din 25 iunie 2004
pentru aprobarea modelului comun european de curriculum vitae
EMITENT: GUVERNUL
PUBLICAT IN: MONITORUL OFICIAL nr. 633 din 13 iulie 2004

In temeiul art. 108 din Constitutie, republicata,

Guvernul Romaniei adopta prezenta hotarare.

ART. 1
(1) Se aproba modelul comun european de curriculum vitae, prevazut in anexa care face parte integranta din prezenta hotarare, in scopul sporirii transparentei si exactitatii informatiilor existente pe piata fortei de munca si pentru alinierea legislatiei romane la reglementarile comunitare in domeniu.
(2) Modelul comun european de curriculum vitae constituie un mod de prezentare sistematic, cronologic si flexibil a calificarii si competentelor fiecarei persoane.
(3) Modelul comun european de curriculum vitae cuprinde urmatoarele categorii de informatii:
a) informatii cu caracter personal, limbi straine cunoscute, experienta profesionala, nivelul studiilor si al formarii profesionale;
b) alte aptitudini ale persoanei, in special aptitudini tehnice, organizatorice, artistice si sociale;
c) informatii suplimentare care pot fi mentionate in curriculum vitae sau intr-o anexa a acestuia.
ART. 2
(1) De la data intrarii in vigoare a prezentei hotarari, modelul comun european de curriculum vitae reprezinta modelul de curriculum vitae existent pe piata muncii, acceptat de catre angajatori si utilizat de catre persoanele aflate in cautarea unui loc de munca, in mod voluntar.
(2) Autoritatile administratiei publice centrale, respectiv Ministerul Muncii, Solidaritatii Sociale si Familiei, Agentia Nationala pentru Ocuparea Fortei de Munca, Ministerul Educatiei si Cercetarii, Agentia Nationala pentru Intreprinderi Mici si Mijlocii si Cooperatie, vor populariza si vor promova modelul comun european de curriculum vitae prin informarea persoanelor care se afla in cautarea unui loc de munca, a celor care urmeaza o forma de invatamant sau orice alta forma de calificare profesionala.
(3) Institutiile prevazute la alin. (2) vor populariza si vor promova modelul comun european de curriculum vitae, inclusiv prin publicarea pe pagina de Internet proprie a unor modele completate.
ART. 3
(1) In scopul implementarii modelului comun european de curriculum vitae, Ministerul Muncii, Solidaritatii Sociale si Familiei, Agentia Nationala pentru Ocuparea Fortei de Munca, Agentia Nationala pentru Intreprinderi Mici si Mijlocii si Cooperatie vor pune la dispozitia cetatenilor, in mod gratuit, modelul comun european de curriculum vitae, in format electronic si/sau pe suport de hartie.
(2) Celelalte autoritati ale administratiei publice centrale si locale sau institutii centrale, in cazul in care persoanele interesate solicita angajarea in institutia respectiva sau doresc sa urmeze un program de pregatire profesionala organizat de catre acestea, vor pune la dispozitia acestora, in mod gratuit, modelul comun european de curriculum vitae.
(3) Partenerii sociali si organizatiile neguvernamentale pot furniza acest model membrilor lor, persoane fizice sau juridice, si pot actiona astfel incat acesta sa fie acceptat ca un instrument comun pe piata fortei de munca.
ART. 4
Prezenta hotarare transpune Recomandarea Comisiei Europene nr. C(2002)/516 din 11 martie 2002 privind Modelul comun european pentru curriculum vitae, publicata in Jurnalul Oficial al Comunitatilor Europene L 079 din 22 martie 2002.

PRIM-MINISTRU
ADRIAN NASTASE

Contrasemneaza:
--------------
Presedintele Agentiei Nationale
pentru Intreprinderi Mici si Mijlocii si Cooperatie,
Eugen Ovidiu Chirovici

Ministrul educatiei si cercetarii,
Alexandru Athanasiu

Ministrul muncii, solidaritatii sociale si familiei,
Elena Dumitru

Bucuresti, 25 iunie 2004.
Nr. 1.021.

-----

ANEXA
*T*
Model de Curriculum Vitae ³
European ³
³
³Curriculum vitae
³
³
*Nota ³
Inlocuiti rubrica (numele ³
aplicantului cu propriul nume)³
**Nota ³
Toate textele scrise cu aceste³
caractere au rol informativ si³
nu apar in CV ³
***Nota ³
Textul dintre () va fi inlo- ³
cuit cu informatiile cerute ³
INFORMATII PERSONALE ³
³
Nume ³(Nume, prenume)
³
Adresa ³(numarul, strada, cod postal, oras, tara)
³
Telefon ³
³
Fax ³
³
E-mail ³
³
Nationalitate ³
³
Data nasterii ³(ziua, luna, anul)
³
EXPERIENTA ³
PROFESIONALA ³
³(Mentionati pe rand fiecare experienta
³profesionala pertinenta, incepand cu cea mai
³recenta dintre acestea)
³
*Perioada (de la - pana la) ³
³
*Numele si adresa angaja- ³
torului ³
³
*Tipul activitatii sau sec- ³
torul de activitate ³
³
*Functia sau postul ocupat ³
³
*Principalele activitati si ³
responsabilitati ³


Model de Curriculum Vitae ³
European ³
³
³Curriculum vitae
³
³
EDUCATIE SI FORMARE ³
*Perioada (de la-pana la) ³(Descrieti separat fiecare forma de invata-
³mant si program de formare profesionala
³urmate, incepand cu cea mai recenta)
*Numele si tipul institutiei ³
de invatamant si al organiza- ³
tiei profesionale prin care ³
s-a realizat formarea profe- ³
sionala ³
³
*Domeniul studiat/aptitudini ³
ocupationale ³
³
*Tipul calificarii/diploma ³
obtinuta ³
³
*Nivelul de clasificare a for-³
mei de instruire/invatamant ³
³
APTITUDINI SI COMPETENTE ³
PERSONALE ³
dobandite in cursul vietii si ³
carierei dar care nu sunt re- ³
cunoscute neaparat printr-un ³
certificat sau o diploma ³
³
Limba materna ³
Limbi straine cunoscute ³(Enumerati limbile cunoscute si indicati
*abilitatea de a citi ³nivelul:excelent, bine, satisfacator)
*abilitatea de a scrie ³
*abilitatea de a vorbi ³
³
Aptitudini si competente ³(Descrieti aceste aptitudini si indicati
artistice ³contextul in care le-ati dobandit)
Muzica, desen, literatura etc.³
³
Aptitudini si competente ³(Descrieti aceste aptitudini si indicati
sociale ³contextul in care le-ati dobandit)
Locuiti si munciti cu alte ³
persoane, intr-un mediu multi-³
cultural, ocupati o pozitie in³
care comunicarea este impor- ³
tanta sau desfasurati o acti- ³
vitate in care munca de echipa³
este esentiala. (de exemplu ³
cultura, sport, etc.) ³


Model de Curriculum Vitae ³
European ³
³
³Curriculum vitae
³
³
Aptitudini si competente ³(Descrieti aceste aptitudini si indicati in
organizatorice ³ce context le-ati dobandit)
De exemplu coordonati sau ³
conduceti activitatea altor ³
persoane, proiecte si gestio- ³
nati bugete; la locul de munca³
in actiuni voluntare(de exem- ³
plu in domenii culturale sau ³
sportive) sau la domiciliu. ³
³
Aptitudini si competente ³(Descrieti aceste aptitudini si indicati in
tehnice ³ce context le-ati dobandit)
(utilizare calculator, anumite³
tipuri de echipamente, masini ³
etc) ³
³
Permis de conducere ³
³
³
Alte aptitudini si ³(Descrieti aceste aptitudini si indicati in
competente ³ce context le-ati dobandit)
Competente care nu au mai fost³
mentionate anterior ³
³
INFORMATII SUPLIMENTARE ³(Indicati alte informatii utile si care nu
³au fost mentionate, de exemplu persoane de
³contact, referinte, etc)
³
ANEXE ³(Enumerati documentele atasate CV-ului, daca
³este cazul).
*ST*





European
curriculum vitae
format



Personal information

Name

[ Surname, other name(s) ]
Address

[ House number, street name, postcode, city, country ]
Telephone


Fax


E-mail



Nationality



Date of birth

[ Day, month, year ]


Work experience

• Dates (from – to)

[ Add separate entries for each relevant post occupied, starting with the most recent. ]
• Name and address of employer


• Type of business or sector


• Occupation or position held


• Main activities and responsibilities




Education and training

• Dates (from – to)

[ Add separate entries for each relevant course you have completed, starting with the most recent. ]
• Name and type of organisation providing education and training


• Principal subjects/occupational
skills covered


• Title of qualification awarded


• Level in national classification
(if appropriate)



Personal skills
and competences
Acquired in the course of life and career but not necessarily covered by formal certificates and diplomas.

Mother tongue

[ Specify mother tongue ]

Other languages



[ Specify language ]
• Reading skills

[ Indicate level: excellent, good, basic. ]
• Writing skills

[ Indicate level: excellent, good, basic. ]
• Verbal skills

[ Indicate level: excellent, good, basic. ]

Social skills
and competences
Living and working with other people, in multicultural environments, in positions where communication is important and situations where teamwork is essential (for example culture and sports), etc.

[ Describe these competences and indicate where they were acquired. ]

Organisational skills
and competences
Coordination and administration of people, projects and budgets; at work, in voluntary work (for example culture and sports) and at home, etc.

[ Describe these competences and indicate where they were acquired. ]

Technical skills
and competences
With computers, specific kinds of equipment, machinery, etc.

[ Describe these competences and indicate where they were acquired. ]

Artistic skills
and competences
Music, writing, design, etc.

[ Describe these competences and indicate where they were acquired. ]

Other skills
and competences
Competences not mentioned above.

[ Describe these competences and indicate where they were acquired. ]

Driving licence(s)



Additional information

[ Include here any other information that may be relevant, for example contact persons, references, etc. ]


Annexes

[ List any attached annexes. ]






Wednesday, September 22, 2004

AFFAIRE NOTAR c. ROUMANIE Requête no 42860/98 Règlement amiable

DEUXIÈME SECTION





AFFAIRE NOTAR c. ROUMANIE

(Requête no 42860/98)










ARRÊT
(Règlement amiable)




STRASBOURG

20 avril 2004




Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Notar c. Roumanie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président, A.B. Baka, L. Loucaides, C. Bîrsan, K. Jungwiert, V. Butkevych, Mme A. Mularoni, juges,et de M. T.L. Early, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 mars 2004,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 42860/98) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Gheorghe Notar (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 30 mars 1998 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté par Mme M. Macovei, avocate à Bucarest. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. B. Aurescu, Sous-secrétaire d'Etat.
3. Le requérant alléguait avoir été victime d'une violation des articles 3 et 13 de la Convention, compte tenu de mauvais traitements qu'il aurait subis aux mains de la police et des gardiens du Centre d'accueil et de tri des mineurs de Tg. Mures et en raison de l'absence alléguée d'une enquête effective, propre à conduire à l'identification et à la punition des responsables. Il se plaignait également, au titre de l'article 5 §§ 1 - 5 de la Convention, de ne pas avoir été arrêté et détenu « régulièrement » et « selon les voies légales », de ne pas avoir été informé dans le plus court délai des raisons de son arrestation et des charges qui pesaient contre lui, de ne pas avoir été aussitôt traduit devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer les fonctions judiciaires, de ne pas avoir bénéficié qu'un tribunal statue, à bref délai, sur la légalité de sa détention, et de l'absence d'un droit à la réparation pour sa détention dans des conditions contraires aux paragraphes 1 - 4 de la disposition précitée.
Il alléguait en outre une violation de l'article 6 § 1 de la Convention découlant de son impossibilité alléguée de demander des dommages-intérêts des chefs de détention illégale et de mauvais traitements, ainsi qu'une atteinte à son droit à la présomption d'innocence, au sens de l'article 6 § 2 de la Convention, en ce que son identité aurait été révélée lors d'une émission de télévision pendant laquelle il aurait été traité d'auteur d'une infraction, alors que sa culpabilité n'avait pas encore été légalement établie. Il alléguait, enfin, une entrave à son droit de recours individuel, au sens de l'article 34 de la Convention, eu égard, notamment, à une visite des policiers à son domicile et à la convocation au poste de police des membres de sa famille et des personnes se trouvant chez lui lors de cette visite.
4. La requête a été attribuée à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.
5. Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la deuxième section ainsi remaniée (article 52 § 1).
6. Par une décision du 13 novembre 2003, la chambre a déclaré la requête partiellement recevable.
7. Par lettre du 13 janvier 2004, la partie requérante informa le greffe de la Cour (« le greffe ») qu'à la suite des pourparlers qu'elle avait eus avec l'agent du Gouvernement et des propositions que ce dernier lui avait faites, elle était disposée à régler l'affaire de façon amiable.
8. Le 5 février 2004, après un échange de correspondance entre le greffe et le Gouvernement, celui-ci confirma les termes de la proposition de règlement amiable dont il s'agissait, et fournit une déclaration formelle en ce sens, signée par son agent.
9. Le 19 février 2004, le requérant confirma, sur demande du greffe, qu'il acceptait la proposition de règlement amiable de l'affaire, telle qu'elle était libellée dans la déclaration du Gouvernement du 5 février 2004.
EN FAIT
10. Le requérant est un ressortissant roumain né en 1979 et résidant à Tg. Mures.
1. L'arrestation du requérant
a) Thèse du requérant
11. Le 7 juillet 1996, le requérant et trois autres mineurs, soupçonnés d'avoir commis un vol avec violence à l'encontre du mineur V.A., furent appréhendés par les policiers N.I. et M.D. Pendant le trajet vers le bureau de police, ils furent frappés par les deux policiers.
12. Les mineurs et la victime V.A. furent amenés dans une pièce, accompagnés par le policier M.D. La victime V.A. nia toute implication du requérant dans l'incident.
13. Prévenus par la famille M., les parents du requérant se rendirent au poste en début de soirée. L'officier de service leur dit que leur fils avait commis un crime et qu'il n'était pas possible de le voir.
14. Le requérant et les trois autres mineurs furent interrogés par M.D. et N.I., qui leur dictèrent ce qu'ils devaient écrire. Le requérant se vit obligé de réécrire sa déclaration à plusieurs reprises, étant continuellement battu, vu qu'aucune de ses déclarations ne semblait convenir aux policiers. L'interrogatoire se déroula en l'absence d'un avocat.
15. Vers 20 h, la mère du requérant, à laquelle on avait enfin donné la permission de voir son fils pour quelques minutes, entra dans la pièce où se trouvaient les mineurs et vit sur la tête, le visage et les bras du requérant des traces de violence physique.
16. Le requérant et les autres mineurs furent embarqués par la suite dans une voiture de police et conduits au Centre d'accueil et de tri des mineurs de Tg. Mures (ci-après « le Centre »). La police rédigea une lettre d'accompagnement à l'intention du Centre, mentionnant que les mineurs avaient accosté des passants dans la rue. Cette lettre ne fut pas enregistrée dans les registres de la police et n'était pas datée.
b) Thèse du Gouvernement
17. Le Gouvernement conteste le fait qu'après l'incident du 7 juillet 1996, les policiers auraient employé des moyens violents afin d'appréhender le requérant et les autres mineurs impliqués dans le vol avec violence à l'égard de V.A. Selon le Gouvernement, dès que les policiers en furent alertés par un témoin, ils se déplacèrent sur les lieux, immobilisèrent les auteurs présumés de l'infraction et les amenèrent ensuite au poste de police.
18. Le requérant et les autres mineurs soupçonnés d'avoir commis des infractions ne furent pas frappés après avoir été amenés au poste de police. Les policiers ne firent rien d'autre qu'attirer leur attention sur le fait qu'ils devaient dire la vérité et prendre ensuite leurs dépositions.
2. Le placement du requérant au Centre pour la protection des mineurs
a) Thèse du requérant
19. Dans la nuit du 7 au 8 juillet 1997, à une heure qui ne saurait être précisée entre 22 h du soir et 6 h du matin, le requérant et les autres mineurs furent placés au Centre. A leur arrivée, ils furent obligés de se faire raser la tête, d'échanger les vêtements avec ceux fournis par le Centre, de prendre une douche à l'eau froide et de se faire laver avec du gazole.
20. Le 8 juillet 1997, au matin, le gardien D.L. du Centre leur donna des coups de poing et de pieds, en leur disant que cela n'était que le début.
21. Le même jour, vers midi, les parents du requérant, après avoir obtenu de la part de l'officier de police O.D. une permission de voir leur fils pendant quelques minutes, se rendirent au Centre. Accompagnés par M.R., une employée du Centre, ils virent leur fils et constatèrent des traces de violence sur son corps. Le père du requérant demanda alors à M.R. que son fils soit examiné par un médecin, mais M.R. refusa, en lui expliquant que le Centre ne disposait pas de personnel médical et que le règlement interdisait qu'un médecin extérieur au Centre examine les mineurs placés.
22. Le 9 juillet 1996, le requérant et les autres mineurs furent amenés au poste de police pour un nouvel interrogatoire. Ils n'étaient pas représentés par un avocat. Le policier qui les interrogeait les aurait obligés à se frapper réciproquement chaque fois que la réponse de l'un d'entre eux ne convenait pas au policier. Si l'un d'entre eux ne frappait pas l'autre assez fort, le policier intervenait, en le frappant lui-même.
23. Ensuite, ils furent amenés dans une salle de conférences où se trouvaient rassemblés plusieurs policiers. Ils furent tout d'abord alignés devant les policiers, qui prenaient des notes, ensuite filmés par Anténa 1, une chaîne de télévision locale (ci-après « la chaîne A. »), et, enfin, photographiés de face et de profil. Ils furent reconduits par la suite auprès du Centre. Le consentement du requérant ou de son père pour le film en question n'a jamais été demandé et ils ne l'ont jamais exprimé.
24. Le 9 juillet 1996, au soir, l'enregistrement avec les mineurs fut diffusé à la télévision, dans une émission de la police traitant du problème de la délinquance juvénile. Plusieurs amis de la famille du requérant virent l'émission, l'un d'entre eux déclarant avoir vu des traces de violence physique sur le corps du requérant. Ils faisaient état en outre de ce que, pendant l'émission, qui dura une vingtaine de minutes, le présentateur avait révélé l'identité du requérant et avait mentionné qu'il avait commis un vol avec violence.
25. Le 9 juillet 1996 et les trois jours suivants, le requérant et les autres mineurs furent battus à nouveau par les gardiens du Centre, qui leur donnèrent des coups de poing ou des gifles. Chaque soir, ils étaient obligés de prendre une douche froide et, un soir, ils furent amenés dehors, où ils durent faire des « pompes ».
26. Le 12 juillet 1996, le requérant et les autres mineurs, après avoir repris leurs habits, furent envoyés au poste de police, où ils furent libérés.
27. Ils ne furent pas examinés par un médecin lors de leur placement au Centre.
28. Le 26 juillet 1996, la Commission pour la protection de l'enfant près le Conseil départemental de Mureş adopta une décision par laquelle, en conformité avec l'article 1 d) de la Loi no 3/1970, elle autorisa rétroactivement l'internement du requérant et des autres mineurs dans le Centre, pour une durée de cinq jours à compter du 7 juillet 1996, au motif qu'ils étaient prédisposés à commettre des infractions.
b) Thèse du Gouvernement
29. Le 7 juillet 1997, vers 23 h, le requérant fut placé au Centre, où il fut soumis à un ensemble de mesures d'hygiène et de désinfection.
30. Vers 23 h 30, le père du requérant se vit interdire l'accès au Centre par le gardien T.P., qui lui expliqua que le règlement ne permettait pas des visites pendant la nuit et lui conseilla de revenir le lendemain matin.
31. Le Gouvernement conteste que le requérant aurait eu la tête rasée, qu'il aurait été frappé et qu'il aurait été soumis à des douches froides. Il renvoie à une lettre datée du 21 mai 2001, adressée au préfet de Mureş par le Centre et la Direction générale pour la protection de l'enfant, qui mentionnait ce qui suit :
« au Centre, l'enfant ne s'est pas vu la tête rasée et n'a pas été obligé de prendre des douches froides ; lors de son placement, l'enfant a été « hygiénisé », débarrassé de ses parasites [« déparasité »] et s'est vu fournir l'équipement nécessaire (...) le mineur, ses parents ou I.H. n'ont pas demandé de manière officielle auprès de la direction du Centre le droit à ce que le requérant soit consulté par un médecin ».
32. Le Gouvernement ne conteste pas le fait que le requérant et les autres mineurs n'ont pas été examinés par un médecin pendant la durée de leur internement au Centre.
33. L'émission enregistrée le 9 juillet 1996 auprès du poste de police et sa transmission sur la chaîne de télévision A. auraient été réalisées avec le consentement du requérant et avec l'accord préalable de l'Inspectorat de police de Tg. Mures.
3. La procédure pénale à l'encontre du requérant pour vol avec violence
34. Le 15 juillet 1996, le requérant fut convoqué à la police de Tg. Mures, où, assisté par un avocat, et en présence de l'un de ses parents, il fut informé qu'il était soupçonné d'avoir commis un vol avec violence, infraction punie par l'article 211 du Code pénal. Le requérant déclara qu'il se considérait innocent, car il avait seulement assisté aux faits commis par d'autres mineurs.
35. Le 15 juillet 1996, la Police de Tg. Mures demanda au procureur l'ouverture de poursuites pénales à l'encontre du requérant et demanda à ce qu'il soit mis en détention provisoire, car il représentait un danger public. Le même jour, le requérant fut convoqué au Parquet près le tribunal de première instance de Tg. Mures, où, en présence d'un avocat, il prit connaissance du contenu de son dossier et où il clama à nouveau son innocence. Le procureur ne plaça pas le requérant sous mandat de dépôt, comme la police l'avait proposé.
36. Le 9 décembre 1996, la police de Tg. Mures clôtura l'enquête concernant le vol commis le 7 juillet 1996 et proposa au Parquet le renvoi en jugement du requérant.
37. Par réquisitoire du 17 février 1997, le Parquet près le tribunal départemental de Mureş prononça un non-lieu à son encontre, en application de l'article 10 d) du Code de procédure pénale (« le C.P.P. »), en retenant qu'il n'avait pas commis d'infraction.
4. La plainte pénale du requérant pour mauvais traitements et détention illégale
38. Le 16 juillet 1996, le père du requérant déposa auprès du Parquet militaire de Tg. Mures une plainte contre les policiers N.I. et M.D. et contre les gardiens du Centre, les accusant d'avoir battu et maltraité son fils entre le 7 et le 12 juillet 1996. Il se plaignait aussi de l'illégalité de la détention de son fils, en l'absence d'un mandat de dépôt, ainsi que du refus des employés du Centre de le faire examiner par un médecin.
39. Le 17 juillet 1996, H.V., médecin légiste du laboratoire de médecine légale de Tg. Mures, examina le requérant sur demande du Parquet. Son rapport d'expertise, daté du 17 juillet 1997, mentionnait que le mineur ne présentait pas de lésions traumatiques évidentes qui nécessitaient un traitement médical. Il faisait état en outre de ce que le requérant accusait des douleurs au niveau de la boîte crânienne et du thorax dorsal bilatéral.
40. Par résolution du 19 décembre 1996, le Parquet militaire près le tribunal territorial militaire de Bucarest rendit un non-lieu au bénéfice des deux policiers N.I. et du M.D. sur le fondement de l'article 10 d) du C.P.P., au motif que les faits qui leur étaient reprochés n'existaient pas.
41. Par résolution du 26 février 1997, le colonel magistrat V.D., procureur militaire près la Section des Parquets militaires, confirma la résolution du 19 décembre 1996 dans la partie concernant le non-lieu prononcé à l'égard des policiers N.I. et M.D., solution qu'il qualifia de correcte. Constatant toutefois que les dispositions du C.P.P. relatives à l'arrestation et à la mise en détention provisoire du requérant n'avaient pas été respectées, il ordonna le renvoi du dossier au Parquet hiérarchiquement inférieur et l'ouverture de poursuites pénales contre ceux qui l'avaient illégalement placé en détention.
42. Par résolution du 21 mai 1997, le Parquet militaire près le tribunal militaire territorial de Bucarest prononça un non-lieu au bénéfice du lieutenant de police P.F. et des sous‑officiers N.I. et M.D. du chef de privation illégale de liberté du requérant.
5. La visite des policiers chez le requérant et la procédure pénale pour violation de domicile
43. Le 24 mars 1998, le père du requérant saisit le Parquet militaire de Tg. Mures d'une plainte pénale à l'encontre des deux policiers, les accusant de violation de domicile et de conduite abusive, infractions prohibées respectivement par les articles 192 et 250 du Code pénal.
44. Une enquête fut ouverte par le Parquet à la suite de cette plainte pénale. Le 12 mai 1998, le père du requérant confirma, lors de son audition par le Parquet, que les deux policiers lui avaient notifié, le 16 mars 1998 vers 13 h, devant l'entrée de sa maison, un mandat de comparution émis par le tribunal de Tg. Mures en vue d'une audience du 18 mars 1998 à laquelle il était convoqué. Il faisait valoir qu'après avoir apposé sa signature sur le verso du mandat, les policiers l'avaient poussé, avaient pénétré à l'intérieur de la maison, en dépit de son refus manifeste de les laisser entrer, et avaient demandé aux personnes se trouvant chez lui de présenter leurs pièces d'identité. Il déclara également que les policiers lui avaient dit qu'ils n'avaient pas besoin d'un mandat pour pénétrer chez lui le soir, avant 22 h, et que la police serait bienveillante à son égard s'il retirait sa requête à Strasbourg. Il souligna, enfin, qu'il avait la certitude d'être harcelé en permanence par les organes de police et demanda que ce fait ne se reproduise plus.
45. Le 2 juin 1998, les deux policiers furent entendus par le Parquet militaire de Tg. Mures. Ils confirmèrent avoir notifié au père du requérant, le 16 mars 1998, un mandat de comparution émis par le tribunal de Tg. Mures. Ils indiquèrent en outre qu'ils étaient entrés ensuite dans la maison du requérant au motif qu'ils avaient entendu plusieurs voix venant de l'intérieur et compte tenu aussi des réclamations qu'ils avaient reçues auparavant au sujet des personnes qui fréquentaient l'immeuble en question. Ils déclarèrent également qu'ils avaient vu à l'intérieur plusieurs personnes regarder un film pornographique, qu'ils leur avaient demandé une pièce d'identité et leur avaient dressé une convocation en vue de se présenter au siège de la police deux jours plus tard. Les policiers nièrent avoir poussé le requérant pour rentrer chez lui ou avoir eu des discussions au sujet d'une requête que lui ou son père aurait introduite à Strasbourg.
46. Les 29 mars, 10, 18 et 26 juin 1998, six personnes se trouvant chez le requérant au moment de l'incident du 16 mars 1998 furent entendues comme témoins par le Parquet. Ils indiquaient avoir vu rentrer les deux policiers chez le requérant, le 16 juin 1998, pendant qu'ils regardaient un film à la télévision. Ils confirmèrent en outre avoir été requis par les policiers de présenter leurs pièces d'identité et avoir été convoqués par la suite au poste de police. Ils déclarèrent aussi qu'ils n'avaient pas entendu les policiers menacer le requérant et que ces derniers étaient partis lorsque le père du requérant leur avait demandé de quitter sa maison. Aucune mention ne figure dans leurs déclarations au sujet d'une requête qu'aurait introduite le requérant à Strasbourg.
47. Le 31 juillet 1998, le père du requérant déclara devant le Parquet qu'il retirait la plainte pénale du 24 mars 1998 à l'encontre des policiers et qu'il revenait sur les déclarations qu'il avait faites antérieurement, au motif que l'incident du 16 mars 1998 n'avait pas eu l'ampleur qu'il lui avait donnée initialement. Il faisait valoir que c'était lui qui avait accepté que les deux policiers rentrent dans sa maison.
48. Par résolution du 20 octobre 1998, le Parquet militaire de Tg. Mures décida le non-lieu à l'égard des deux policiers, s'appuyant notamment sur la déclaration du père du requérant du 31 juillet 1998, qui revenait sur sa déposition antérieure, et sur les déclarations des autres témoins et des policiers. Il retint que les deux policiers s'étaient rendus chez le père du requérant afin de l'informer de son obligation de se présenter à l'audience du 18 mars 1998 et de lui notifier le mandat émis en ce sens par le tribunal de Tg. Mures, et qu'ils étaient sortis de sa maison sur sa demande.
EN DROIT
49. Le 5 février 2004, la Cour a reçu du Gouvernement la déclaration suivante :
« 1. Je déclare qu'en vue d'un règlement amiable de l'affaire ayant pour origine la requête no 42860/98, le Gouvernement roumain offre de verser ex gratia au requérant la somme de 40 000 EUR (quarante mille euros). Le Gouvernement offre également de verser au requérant 875 EUR (huit cent soixante-quinze euros) à titre de préjudices matériels, ainsi que 8 712,66 EUR (huit mille sept cent douze euros et soixante-six centimes) pour frais et dépens, payables directement à son avocate, conformément au contrat qu'elle a conclu le 3 novembre 2003 avec le requérant.
Cette somme ne sera soumise à aucun impôt ni à une quelconque autre charge fiscale et sera versée en euros, à convertir en lei roumains au taux de change applicable à la date du versement, sur un compte bancaire indiqué par le requérant et par ses représentants dûment autorisés. Le versement s'effectuera dans les trois mois suivant la date du prononcé de l'arrêt de la Cour rendu conformément à l'article 39 de la Convention européenne des Droits de l'Homme. A compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au règlement effectif de la somme en question, le Gouvernement s'engage à payer un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne, augmenté de trois points de pourcentage. Ce paiement vaudra règlement définitif de l'affaire.
2. Le Gouvernement s'engage à initier un processus de réforme de la législation existante en matière de droit de timbre, afin que les actions civiles en dommages‑intérêts des chefs des traitements contraires à l'article 3 de la Convention en soient exemptées.
3. Le Gouvernement prendra les mesures nécessaires afin d'informer les forces de police sur la manière appropriée de se conduire en vue d'assurer le respect de la présomption d'innocence, au sens du second paragraphe de l'article 6 de la Convention.
4. Le Gouvernement continuera à déployer des efforts dans le domaine de la protection de l'enfant en difficulté, conformément à ses engagements pris à travers la législation et les stratégies adoptées au niveau national (l'ordonnance du Gouvernement no 26/1997 sur la protection de l'enfant en difficulté, approuvée par la loi no 108/1998, et la décision du Gouvernement no 539 du 7 juin 2001 sur la stratégie en matière de protection de l'enfant en difficulté) qui remplacent entièrement la législation en vigueur à l'époque des faits de l'espèce.
5. Le Gouvernement considère que la supervision, par le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe, de l'exécution de l'arrêt de la Cour constitue un mécanisme approprié pour garantir que des progrès continueront à être faits dans ce domaine.
6. Enfin, le Gouvernement s'engage à ne pas demander le renvoi de l'affaire à la Grande Chambre conformément à l'article 43 § 1 de la Convention après que la chambre rende son arrêt. »
50. Cette déclaration était accompagnée d'une lettre par laquelle le Gouvernement fait valoir que la législation existante à l'époque des faits, qui régissait les conditions dont bénéficiaient les mineurs au cours de leur placement au Centre d'accueil de Tg. Mures ou à d'autres établissements similaires, a d'ores et déjà été modifiée. Il souligne qu'une Commission départementale pour la protection de l'enfant et un Service public spécialisés, créés en vertu de l'ordonnance du Gouvernement no 26/1997 sur la protection de l'enfant en difficulté, approuvée par la loi no 108/1998, assurent désormais aux mineurs placés un environnement familial approprié. Le Gouvernement indique, inter alia, qu'il est loisible aux parents de maintenir un contact direct et permanent avec leur enfant mineur placé et s'engage à poursuivre le processus de réforme en la matière.
51. Le 19 février, la Cour a reçu de la part de la représentante du requérant une lettre rédigée en ces termes :
« Je confirme que le requérant accepte le règlement amiable de l'affaire tel qu'il est proposé par le Gouvernement. »
52. La Cour prend acte du règlement amiable auquel sont parvenues les parties (article 39 de la Convention). Elle est assurée que ce règlement s'inspire du respect des droits de l'homme tels que les reconnaissent la Convention ou ses Protocoles (articles 37 § 1 in fine de la Convention et 62 § 3 du règlement).
53. Partant, il convient de rayer la requête du rôle.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Décide de rayer la requête du rôle ;

2. Prend acte de l'intention des parties (implicite de la part du requérant) de ne pas demander le renvoi de la requête à la Grande Chambre.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 20 avril 2004 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
T.L. Early J.-P. Costa Greffier adjoint Président

SUR LA RECEVABILITÉ de la requête n° 44696/98 présentée par Marcelini MUJEA contre la Roumanie

DEUXIEME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 44696/98présentée par Marcelini MUJEAcontre la Roumanie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 10 septembre 2002 en une chambre composée de
MM. J.-P. Costa, président, L. Loucaides, C. Bîrsan, K. Jungwiert, V. Butkevych, Mmes W. Thomassen, A. Mularoni, juges,et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 8 décembre 1997,
Vu l’article 5 § 2 du Protocole n° 11 à la Convention, qui a transféré à la Cour la compétence pour examiner la requête,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, Marcelini Mujea, est un ressortissant roumain, né en 1963 et résidant à Timişoara. Il est représenté par maître Ionel Olteanu, avocat au barreau de Bucarest.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
1. La mise en détention provisoire du requérant par le parquet
Dans la nuit du 7 au 8 février 1996, deux avions de type IL 18 appartenant aux compagnies aériennes Romavia et Jaro international, et un Boeing 707, appartenant à la compagnie Jaro international, atterrirent sur l’aéroport international de Timişoara. Ils transportaient des cigarettes, que la société commerciale Celini de Timişoara (ci-après « la société Celini »), dont le requérant était l’administrateur et actionnaire majoritaire, avait importées en vertu d’un contrat conclu avec la société Lunterton, sise à Panama. La marchandise avait été chargée à bord des avions à Chypre. Au moment de l’embarquement, des personnes s’étant présentées en tant que représentants de la société Air Trans‑Chypre avaient remis aux pilotes des avions, en billets de banque, le coût du transport de la marchandise.
A l’aéroport de Timişoara, les cigarettes furent réceptionnées par G.B., un représentant de la société Celini, qui effectua ensuite la déclaration douanière auprès de la société Romtrans, en vertu d’un pouvoir que le requérant lui avait donné en ce sens.
Entre les 19 et 25 février 1996, sept autres avions de type Boeing 707, appartenant à la compagnie de transport aérien Jaro international atterrirent sur les aéroports internationaux de Bucarest et de Timişoara, transportant des cigarettes que la société Celini avait importées, en vertu du même contrat. Les cigarettes furent chargées à bord des avions à Chypre et déchargées à la destination dans les mêmes conditions que le précédent transport.
Le 11 avril 1996, l’Inspectorat de police de Timişoara ordonna l’ouverture de poursuites pénales à l’encontre du requérant pour évasion fiscale, infraction prohibée par les articles 11 et 12 de la loi n° 87/1994. Dans le procès-verbal établi à cette occasion il était fait état de ce que, en février 1996, le requérant, en tant que dirigeant de la société Celini, avait importé des cigarettes de la société Lunterton de Panama et qu’il avait omis de déclarer aux autorités douanières la valeur du transport de la marchandise de Chypre en Roumanie, ainsi que les frais de manutention occasionnés par le chargement et le déchargement de la marchandise, ce qui avait porté au budget de l’Etat un préjudice de plus de 700 000 000 de lei.
Le 18 avril 1996, le requérant fut interrogé au sujet des faits qui lui étaient reprochés.
Les 2 et 19 avril 1996, plusieurs témoins furent entendus par les organes d’enquêtes, dont les dépositions furent versées au dossier d’instruction.
Le 18 octobre 1996, le requérant fut placé par la police en garde à vue pour en délai de 24 heures, en application de l’article 148 h) du Code de procédure pénale (ci-après le « C.P.P. » ). Dans l’ordonnance de placement en garde à vue il était fait état de ce qu’il y avait à l’encontre du requérant des preuves et des indices sérieux relatifs à sa culpabilité, mais aucun de ces indices ou de ces preuves n’était mentionné.
Par ordonnance du 19 octobre 1996, le procureur C.C. du parquet près la cour d’appel de Timişoara plaça le requérant en détention provisoire pour un délai de cinq jours, en application de l’article 148 d) et h) du Code de procédure pénale. Il faisait valoir que le requérant était soupçonné d’évasion fiscale, infraction prohibée par l’article 12 de la loi n° 87/1994, compte tenu de ce qu’en février 1996, il s’était soustrait au paiement des taxes fiscales, ayant omis de déclarer aux autorités douanières le coût du transport de la marchandise importée, ce qui avait causé un grave préjudice au budget de l’Etat.
Il mentionnait aussi que les indices sur lesquels l’accusation s’appuyait étaient le contrat de vente conclu entre les sociétés Celini et Lunterton le 30 septembre 1995, en original et en copie, traduite en roumain, les factures attestant le montant du coût du transport de la marchandise qui avait été payé aux transporteurs par une société tierce au contrat, à savoir Air Trans‑Chypre, ainsi qu’un rapport d’expertise comptable évaluant le montant des préjudices subis par l’Etat.
Le parquet estimait aussi que la mise en détention du requérant était nécessaire compte tenu du fait que ce dernier, après avoir déjà falsifié ledit contrat de vente, pourrait entraver à l’établissement de la vérité.
Par ordonnance du 23 octobre 1996, le procureur C.C. du parquet près la cour d’appel de Timişoara prolongea la durée de la détention provisoire pour une durée de vingt-cinq jours, expirant le 16 novembre 1996. Se fondant sur l’article 148 d) et h) du C.P.P., il estimait que le requérant encourait une peine privative de liberté supérieure à deux ans et qu’il y avait des preuves suffisantes de ce qu’il aurait commis une infraction. En particulier, le procureur s’appuyait sur la déclaration de deux témoins, sur une attestation envoyée à l’Inspection de la police par D.H.L., sur une adresse de l’office du Registre du commerce de Timiş, sur le rapport d’expertise comptable, ainsi que sur le contrat de vente conclu entre les deux sociétés et les factures y afférentes.
Le requérant n’a pas informé la Cour s’il a introduit auprès le tribunal de première instance de Timişoara une plainte contre les ordonnances du parquet des 19 novembre et 29 octobre 1996, sur le fondement de l’article 1401 du C.P.P.
2. Les prolongations successives, par les tribunaux, de la durée de la détention provisoire du requérant
Le 11 novembre 1996, le parquet sollicita auprès du tribunal la prolongation de la détention du requérant pour une durée de trente jours afin qu’il puisse procéder à une nouvelle audition des témoins et à leur confrontation avec le requérant.
Le 13 novembre 1996, le tribunal de première instance de Timişoara, composé de deux juges, dont I.D. en tant que président, accueillit sa demande, qu’il estima fondée, et prolongea la durée de la détention provisoire du requérant jusqu’au 14 décembre 1996. Lors de l’audience, qui eut en chambre du conseil, le requérant fut présent, assisté par son avocat et il fut entendu. Le ministère public fut représenté par le procureur C.C.
Le 14 novembre 1996, le requérant forma un recours contre ce jugement. Sa demande fut enregistrée au greffe du tribunal de Timiş le 22 novembre 1996. Il se plaignait notamment de ce que le dossier d’instruction n’avait pas été déposé par le parquet au greffe du tribunal deux jours avant l’audience du 13 novembre 1996, tel que l’exigeait l’article 159 § 2 du C.P.P., et que, dès lors, son avocat n’a pu ni le consulter, ni prendre davantage connaissances des preuves et indices sur lesquels le parquet s’était appuyé pour demander la prolongation de la durée de sa détention.
Le 9 décembre 1996, le tribunal départemental de Timiş, après avoir entendu les parties en audience publique, constata que le dossier des poursuites pénales, composé de trois volumes et contenant approximativement 300 pages, venait d’être déposé à son siège et estima nécessaire d’étudier ledit dossier.
Par jugement avant dire droit du 11 décembre 1996, le tribunal rejeta le recours du requérant. Le tribunal jugea que, bien que les exigences de l’article 159 § 2 du C.P.P. n’aient pas été respectées, l’avocat du requérant avait pu consulter la communication du Bureau international d’Interpol avant qu’il fasse ses conclusions sur la demande du parquet de prolongation de la détention de son client. Le tribunal nota qu’en tout état de cause, l’avocat du requérant aurait pu demander, s’il avait estimé nécessaire, un nouveau délai pour étudier l’ensemble du dossier.
A une date non précisée, le parquet sollicita du tribunal une nouvelle prolongation de la détention du requérant. Il faisait valoir que les poursuites pénales n’avaient pas encore été finalisées et qu’il allait procéder à l’audition d’autres témoins et à leur confrontation avec le requérant. Il mentionnait aussi qu’il était en attente d’une réponse des Bureaux d’Interpol à Chypre et à Panama, qui était nécessaire pour éclairer les faits en l’espèce.
Par jugement du 9 décembre 1996, le tribunal de première instance de Timişoara, composé de deux juges, dont I.D. en tant que président, accueillit la demande du parquet, qu’il estima fondée, et prolongea la détention du requérant jusqu’au 14 janvier 1997. Lors de l’audience, qui eut lieu publiquement, le requérant fut présent, assisté par son avocat et il fut entendu par le tribunal. Le ministère public était représenté par le procureur C.C.
Le 12 décembre 1996, le requérant forma un recours contre ce jugement. Il faisait valoir que son maintien en détention provisoire n’était pas nécessaire, compte tenu de ce qu’il ne pouvait nullement influencer l’obtention des documents nécessaires aux autorités d’enquête.
Par décision définitive du 8 janvier 1997, le tribunal départemental de Timiş rejeta son recours et confirma la décision rendue par la juridiction inférieure.
Le 6 janvier 1997, le parquet sollicita du tribunal une nouvelle prolongation de la détention du requérant pour une durée de trente jours, au motif qu’à la suite d’un radiogramme du Bureau Interpol il allait étendre les poursuites pénales à l’encontre du requérant à l’infraction de faux en écritures privées, prévue par l’article 290 du Code pénal.
Par jugement du 13 janvier 1997, le tribunal de première instance de Timişoara, composé de deux juges, dont I.D. en tant que président, accueillit la demande du parquet et prolongea la durée du dépôt du requérant jusqu’au 13 février 1997. Lors de l’audience, le ministère public était représenté par procureur C.C.
Le 14 janvier 1997, le requérant forma un recours contre ce jugement.
Le 17 février 1997, lors de l’audience publique devant le tribunal départemental de Timiş, l’avocat du requérant faisait valoir que le maintien en détention provisoire du requérant sur le fondement de l’article 148 h) du C.P.P. ne se justifiait plus, compte tenu de ce que les poursuites pénales avaient été clôturées par le parquet.
Par jugement avant dire droit du 19 février 1997, le tribunal remit le prononcé de son jugement au 19 février 1997, au motif que le dossier d’instruction ne pouvait pas être étudié, car il devait être retourné d’urgence au tribunal de première instance de Timişoara, saisi entre temps du bien‑fondé de l’affaire par réquisitoire du parquet.
Par décision définitive du 24 février 1997, le tribunal départemental de Timiş rejeta le recours formé par le requérant. Le tribunal constata qu’il n’avait pas pu le juger avec célérité compte tenu du manque du dossier d’instruction, mais qu’entre temps, l’affaire avait était portée devant les juges du fond, qui avaient confirmé la légalité de la détention du requérant, conformément à l’article 300 § 3 du C.P.P.
Selon le requérant, le procureur C.C. aurait affirmé lors de l’une des audiences publiques devant le tribunal départemental de Timişoara que sa mise en liberté serait un affront pour le département de Timiş (« o palmă pentru departamentul Timiş »).
3. La procédure sur le bien-fondé des accusations à l’encontre du requérant
En février 1997, le requérant fut traduit par réquisitoire du parquet devant le tribunal de première instance de Timişoara, pour faux en écritures privées, contrebande et évasion fiscale, infractions respectivement prévues par l’article 290 du Code pénal, l’article 72 de la loi n° 30/1978 et l’article 12 de la loi n° 87/1994.
Dans son réquisitoire, le parquet releva que le requérant, avec la complicité d’une personne non identifiée, et à l’égard de laquelle le parquet avait décidé de disjoindre les poursuites pénales, aurait rédigé un contrat fictif entre les sociétés Celini et Lunterton, sur la base duquel la société roumaine s’était vu livrer par un partenaire inconnu, entre les 7 et 25 février 1996, de grandes quantités de cigarettes à des prix sous-évalués, à savoir 8 dollars par cartouche au lieu de 10 dollars, prix minimal à l’importation des cigarettes fixé par décision n° 864/95 du Gouvernement. Il faisait valoir également aussi qu’en se prévalant de la règle Incoterms « coût, assurance et fret » (ci‑après « C.I.F. ») édictée par la Chambre de commerce Internationale et stipulée dans le contrat, le requérant avait omis sciemment de déclarer aux autorités douanières des frais de transport et de manipulation de la marchandise, ce qui avait causé à l’Etat un préjudice de 5 246 725 465 de lei, représentant les garanties douanières non acquittées, et de 742 187 465 de lei, représentant les frais de douane non payés.
Le 17 février 1997, les avocats du requérant firent une demande de récusation du juge I.D., président de la formation, au motif qu’il avait participé au jugement des demandes de prolongation de sa détention les 13 novembre et 9 décembre 1996 et le 13 janvier 1997. Ils faisaient valoir aussi que le juge I.D. avait été nommé vice-président du tribunal de première instance de Timişoara sur proposition du président du tribunal, ce qui aurait pu influencer ses décisions. Ils soulignaient en outre que ledit juge avait refusé de mettre à la disposition du tribunal départemental de Timiş le dossier d’instruction du requérant lors de la prolongation de la durée de sa détention provisoire. Ils faisaient valoir enfin qu’en 1996, le quotidien R.B. avait publié la transcription d’une conversation téléphonique entre une journaliste dudit quotidien et un membre de la société commerciale T., dans laquelle le nom du juge I.D. figurait en tant que personne ayant fourni des renseignements sur le procès du requérant.
Par jugement avant dire droit du 20 février 1997, le tribunal de première instance de Timişoara rejeta cette demande. Le tribunal jugea tout d’abord que le juge I.D. ne s’était pas prononcé préalablement sur le bien-fondé des accusations à l’encontre du requérant, mais il avait simplement jugé que son maintien en détention provisoire était nécessaire, compte tenu notamment de la nécessité de le confronter avec d’autres témoins. Le tribunal estima de surcroît que la participation du juge I.D. à la formation compétente pour connaître du bien-fondé de l’accusation ne constituait pas une raison d’incompatibilité dudit juge et ne pouvait pas porter préjudice aux droits procéduraux du requérant, mais, au contraire, elle pourrait en être considérée une garantie, dans la mesure où elle permettait au juge de bien connaître le dossier d’instruction dès les premières phases du procès pénal.
Le tribunal estima non étayée l’allégation selon laquelle le juge I.D. aurait refusé de mettre à la disposition du tribunal de Timiş le dossier d’instruction. Il souligna à cet égard que l’obligation de faire preuve de diligence pour que le dossier arrive à temps à un autre tribunal ne faisait pas partie des attributions du juge investi du bien-fondé d’une affaire.
Le tribunal estima également que le fait que, pendant les poursuites pénales, le requérant avait fait des déclarations relatives au président du tribunal de première instance de Timişoara ne saurait mettre en doute l’impartialité du juge I.D., même si celui-ci était vice-président du même tribunal. Il rappelait à cet égard que, selon la loi d’organisation judiciaire, c’était le ministère de la Justice, sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature, qui nommait les dirigeants des tribunaux.
Le tribunal jugea enfin que le fait que le nom du juge I.D. avait été véhiculé dans un article du quotidien R.B. n’était pas une raison de conclure à sa partialité dans l’affaire en cause.
Les 13 mars, 19 mai, 16 et 30 juin, 18 juillet et 1er septembre 1997, plusieurs audiences eurent lieu devant le tribunal de première instance de Timişoara, en formation de deux juges et présidé par I.D. Le requérant fut entendu, assisté par ses avocats. Il versa au dossier les documents qu’il jugeait pertinents pour sa cause et fit entendre plusieurs témoins.
Lors de l’audience du 16 juin 1997, l’un des avocats du requérant demanda une commission rogatoire à Panama et aux Etats-Unis afin notamment d’identifier les organes de direction de la société Lunterton et la réalité des rapports commerciaux entre celle-ci et la société Cellini. Le tribunal rejeta sa demande, au motif que les exigences de l’article 504 du C.P.P., selon lequel il incombait à la partie demanderesse d’individualiser les preuves sollicitées et d’indiquer les noms et l’adresse des témoins en vue d’être notifiés, n’étaient pas été remplies.
Le 1er septembre 1997, les avocats du requérant sollicitèrent la ré‑audition d’un témoin, l’audition d’un nouveau témoin et une contre‑expertise comptable. Ils demandèrent également aussi l’acquittement du requérant, s’appuyant sur les articles 10, a), b) et d) et 11 § 2 a) combinés du Code de procédure pénale, selon lesquels il y a acquittement si l’infraction n’existait pas, n’était pas prévue par la loi, ou s’il manquait l’un de ses éléments constitutifs. Or, ils faisaient valoir que le requérant ne pouvait pas être accusé de contrebande, car il avait simplement exécuté un contrat entre deux parties.
Le tribunal rejeta tout d’abord ces demandes de mesures d’instruction, estimant qu’elles n’étaient pas pertinentes. En particulier, il constata que les conclusions des deux expertises effectuées sur ordre du parquet et du tribunal n’étaient pas contradictoires et jugea, dès lors, qu’une contre‑expertise ne s’imposait pas.
Par jugement du même jour, il condamna le requérant à une peine de six ans d’emprisonnement pour faux en écritures privées, contrebande et évasion fiscale, infractions respectivement prévues par l’article 290 du Code pénal, l’article 72 de la loi n° 30 de 1978 et l’article 12 de la loi n° 87 de 1884. Le tribunal déduisit de cette peine la durée de sa détention, à compter du 18 octobre 1996 au 1er septembre 1997, et maintint la détention du requérant. Il condamna aussi le requérant à une peine complémentaire d’interdiction des droits civils, prévue par l’article 64 du Code pénal. Il le condamna enfin à verser 6 410 001 516 de lei à la partie civile, à savoir la Direction générale des douanes de Bucarest.
Le tribunal jugea tout d’abord que le contrat sur la base duquel la société Celini avait importé des cigarettes était faux et prononça son annulation. Il s’appuyait sur une attestation de la société D.H.L., selon laquelle, à la date des faits litigieux, la société Celini n’avait pas reçu de correspondance par le biais de D.H.L., alors que le requérant avait déclaré, pendant l’instruction, qu’à la suite de la négociation du contrat par téléphone et fax, les représentants de la société Lunterton de Panama le lui auraient envoyé par D.H.L. Le tribunal s’appuyait aussi sur les vérifications effectuées par les Bureaux Interpol à Bucarest et à Panama, qui avaient conclu que ni l’avocat de la société panaméenne, ni son président directeur général, n’avaient conclu de transaction ou de contrat commercial avec la société Cellini et qu’ils ne connaissaient ni le requérant, ni sa société.
Ensuite, le tribunal jugea que le requérant avait fait de la contrebande de cigarettes car, en se prévalant de faux documents, il avait introduit dans le pays des cigarettes à des prix inférieurs à ceux fixés par décision du Gouvernement.
Enfin, il jugea que le requérant s’était soustrait au paiement des taxes fiscales, car, en se prévalant de la règle C.I.F. stipulée dans le contrat de vente, il avait omis de déclarer aux autorités douanières le prix de transport et de manutention de la marchandise importée. Or, le tribunal estima que cette clause n’était pas applicable en l’espèce. Il s’appuya à cet égard sur la présomption qu’un fournisseur ne peut pas vendre à perte. Ainsi, le tribunal, constata que la valeur de la marchandise était inférieure au coût du transport, qui, selon la règle C.I.F., aurait dû être supporté par le fournisseur et conclut qu’une telle situation serait inadmissible.
Pour conclure à l’inapplicabilité de la clause C.I.F. stipulée dans le contrat, le tribunal constata également que le paiement du transport avait été effectué à Chypre directement aux pilotes, par des personnes prétendument représentant la société Air Trans Chypre. Or, ainsi qu’il résultait d’une communication d’Interpol, une telle société n’existait pas. En outre, le tribunal constata que le requérant n’avait pas apporté la preuve d’un éventuel contrat entre la société Lunterton et la société Air Trans Chypre, bien que les avocats du requérant l’aient annoncé.
Le requérant fit appel de ce jugement. Il faisait valoir qu’il était un commerçant de bonne foi et qu’il n’avait pas pu mettre en doute la légalité du contrat reçu de la part de ses partenaires de la société Lunteron, d’autant plus qu’un contrat du même type avait été conclu avec la même société par la société J. de Timişoara, et dont la légalité n’avait jamais été contestée par le parquet.
Il se plaignait aussi que les juges du fond avaient annulé le contrat de vente sur la base de simples informations fournies par Interpol et qu’ils avaient ignoré la sommation de paiement adressée par la société Lunterton à la société Celini. Il se plaignait également que le tribunal n’avait pas accueilli sa demande par laquelle il sollicitait une commission rogatoire afin de confirmer ou infirmer l’existence des rapports contractuels entre les deux parties au contrat. Il faisait valoir en outre que les prix réduits des cigarettes prévus dans le contrat se justifiaient par le caractère promotionnel de la vente sur le marché roumain. Il sollicita enfin son acquittement, en vertu des articles 10 a) et 11 § 2 a) combinés du C.P.P., selon lesquels il y acquittement si l’infraction n’existe pas.
A titre subsidiaire, il demandait au tribunal de renvoyer le dossier au parquet pour complément d’enquête ou, si une telle demande n’était pas accueillie, d’ordonner une expertise financière et comptable, pour évaluer le montant des taxes douanières dues dans les conditions de l’applicabilité de la clause C.I.F. du contrat, et d’établir si, dans un tel cas, l’Etat avait subi un préjudice. Il demandait aussi la délivrance d’une commission rogatoire à Panama, aux Etats-Unis et à Chypre, afin d’établir la réalité des rapports contractuels entre les deux sociétés contractantes, l’étendue du mandat de leur avocat qui avait déclaré qu’entre les deux sociétés il n’y avait pas eu de rapports contractuels, et afin d’identifier la société qui avait payé le transport. Il sollicita aussi l’audition d’un témoin supplémentaire, dont la déposition aurait permis d’élucider les événements ayant précédé la conclusion du contrat de vente.
Enfin, il se plaignait de l’illégalité de sa détention et demanda sa mise en liberté immédiate.
Par décision du 20 novembre 1997, le tribunal départemental de Timiş rejeta son appel et confirma le jugement prononcé par la juridiction inférieure.
Il releva, quant à la validité du contrat, que le requérant avait fait des déclarations contradictoires pendant les poursuites pénales et devant les tribunaux, et qu’il n’avait pas été à même d’identifier les personnes avec lesquelles il avait conclu le contrat litigieux. Il souligna en outre que le requérant n’avait pas payé la marchandise et que le fournisseur n’avait fait aucun acte de procédure pour récupérer sa créance. Quant à la sommation de paiement que la société Lunterton aurait envoyé à la société Celini, le tribunal releva que la personne qui l’avait signée en tant que président de la société Lunterton était différente de celle dont le nom avait été indiqué par le télégramme d’Interpol comme ayant cette fonction et estima, qu’en tout état de cause, elle ne confirmait pas l’existence du contrat de vente.
Le tribunal jugea dès lors que les juges du fond avaient correctement interprété et apprécié les preuves qui avaient été versées au dossier et qu’une commission rogatoire n’était pas nécessaire en l’espèce.
Il ordonna le maintien en détention du requérant et déduisit de la peine de prison prononcée à son encontre par le tribunal de première instance la période qui s’était écoulée depuis le 1er septembre 1997.
Le requérant forma un recours contre cette décision. Il sollicitait son acquittement, en vertu des articles 11 pt. 2 a) et 10 a) combinés du C.P.P. Subsidiairement, il demandait le renvoi du dossier au parquet ou un nouvel examen de sa cause par l’instance de recours. Il faisait valoir que les tribunaux inférieurs s’étaient fondés sur les communications d’Interpol, qui était une organisation non gouvernementale, et qu’ils n’avaient pas accueilli toutes les mesures d’instruction qu’il avait demandées en appel, ce qui les avait amenés à des conclusions erronées concernant la légalité du contrat de vente et sa prétendue utilisation dans le but d’éluder la loi.
Par arrêt définitif du 13 mars 1998, la cour d’appel de Timişoara rejeta son recours. Elle confirma la décision des tribunaux inférieurs, et estima que le refus de ces derniers d’ordonner certaines mesures d’instruction sollicitées par le requérant n’était pas de nature à faire conclure que le renvoi du dossier devant le parquet était nécessaire, car les preuves retenues par les juges du fond étaient pertinentes et suffisantes pour prouver la culpabilité du requérant. La cour d’appel ordonna la déduction de la peine de prison prononcée à l’encontre du requérant la durée de sa détention du 21 novembre 1997 au 13 mars 1998.
B. Le droit et la pratique internes pertinents
1. Les dispositions pertinentes du Code de procédure pénale

Article 136 sur la finalité et les catégories des mesures provisoires
« Dans les causes relatives aux infractions punies de prison ferme, afin d’assurer le bon déroulement du procès pénal et pour empêcher que la personne soupçonnée ou l’inculpé ne se soustraie aux poursuites pénales [...], l’une des mesures préventives suivantes peut être adoptée à son encontre : [...] 1c) la détention provisoire. [...] La mesure prévue par l’article 136 § 1 c) peut être adoptée par le procureur ou par un tribunal. »
Article 137 sur la forme de l’acte par lequel une mesure provisoire est adoptée
« L’acte par lequel une mesure provisoire est adoptée doit monter le faits qui font l’objet de l’inculpation, son fondement légal, la peine prévue par la loi pour l’infraction en cause et les motifs concrets qui ont déterminé l’adoption de la mesure provisoire. »
Article 1401 sur la plainte contre les mesures provisoires adoptées par le procureur
« § 1. Contre l’ordonnance de mise en détention provisoire [...] [l’intéressé] peut introduire une plainte auprès du tribunal compétent de juger le bien-fondé de la cause. § 2. La plainte et le dossier de la cause est envoyée au tribunal prévu au § 1 dans un délai de 24 heures et le prévenu ou l’inculpé arrêté est amené devant ce tribunal, assisté par un avocat. [...] § 5. Le tribunal se prononce le jour même, par jugement avant dire droit, sur la légalité de la mesure provisoire, après avoir entendu le prévenu ou l’inculpé. § 6. Le jugement avant dire doit est susceptible de recours. Le délai de recors est de 3 jours [...] § 8. Lorsque le tribunal estime que la mesure provisoire est illégale, il dispose sa révocation 3et la mise en liberté du prévenu ou de l’inculpé [...] »
Article 143 sur la garde à vue
« L’autorité qui effectue les poursuites pénales peut garder à vue une personne s’il y a des preuves ou des indices forts qu’elle a commis un fait prohibé par la loi pénale. [...] Il existe des indices forts lorsque à partir des données existantes dans l’affaire en cause, celui à l’encontre duquel les poursuites pénales s’effectuent peut être soupçonné d’avoir commis les faits reprochés. »
Article 146 sur la mise en détention provisoire du prévenu
« Lorsque les exigences de l’article 143 sont remplies et dans l’un des cas prévus par l’article 148 du Code pénal, le procureur peut disposer, d’office ou sur demande de l’organe des poursuites pénales, la mise en détention du suspect, par ordonnance motivée, en étayant les fondements légaux qui justifient l’arrestation et pour une durée qui ne saurait dépasser 5 jours. »
Article 148 sur la mise en détention provisoire de l’inculpé
« La mise en détention du requérant peut être ordonnée [par le procureur] si les exigences prévues par l’article 143 sont remplies et seulement dans l’un des cas suivants : [...] h) l’inculpé a commis une infraction pour laquelle la loi prévoie une peine de prison de plus de 2 ans et le fait de le laisser en liberté constituerait un danger pour l’ordre public. »
Article 149 sur la durée de la détention provisoire de l’inculpé
« La durée de la détention provisoire de l’inculpé [ordonnée par le parquet] ne peut dépasser un mois, sauf dans les cas où elle est prolongée selon les voies légales. »
Article 155 sur la prolongation de la durée de la détention provisoire de l’inculpé
« La durée de la détention provisoire de l’inculpée peut être prolongée en cas de besoin seulement de façon motivée. La prolongation de la durée de la détention provisoire peut être ordonnée par le tribunal qui est compétent de statuer sur le bien‑fondé des accusations [...] »
Article 159 sur la procédure de prolongation de la durée de la détention provisoire par le tribunal
« La formation de jugement est présidée par le président du tribunal ou par un juge désigné par celui-ci et la participation du procureur est obligatoire.
Le dossier d’instruction est déposé par le procureur [au tribunal] au moins deux jours avant l’audience et peut être consulté par l’avocat sur demande. L’inculpé est amené devant le tribunal, assisté par un avocat. [...] Si le tribunal octroie la prolongation [de la durée de la détention], elle ne saurait dépasser 30 jours.
Le procureur ou l’inculpé peuvent introduire un recours contre le jugement avant dire droit par lequel le tribunal a statué sur la prolongation de la durée de la détention provisoire. Le délai de recours est de 3 jours et court à compter du prononcé du jugement pour ceux qui y sont présents [...] Le recours [...] n’est pas suspensif d’exécution. »
2. La pratique interne pertinente
Concernant le concept de « danger pour l’ordre public », au sens de l’article 148 h) du C.P.P., les juridictions roumaines se sont ainsi exprimées :

« Le concept de danger pour l’ordre public dans le sens de la loi pénale n’a pas seulement le sens d’un danger concret et immédiat, représenté par la possibilité de la continuation de l’activité criminelle ; le danger pour l’ordre public doit être compris comme une réaction collective contre une situation négative, réaction qui pourrait produire des perturbations au niveau de la discipline publique, du respect de la loi, en stimulant la crainte collective que les organes compétents n’agissent pas d’une manière effective contre les actes dangereux, que la loi n’est pas appliquée de manière résolue» (déc. n° 68/R du 5 mars 1997, Cour d’appel de Braşov).
« [...] à la différence du danger social concret de l’infraction commise, le danger pour l’ordre public auquel fait référence l’article 148 § h du C.P.P. présuppose une résonance sociale de l’infraction, une atteinte contre l’équilibre social normal, un certain état de crainte installé parmi l’opinion publique, une certaine indignation, une réprobation publique ou un certain état d’insécurité sociale. » (déc. n° 66/R du 28 février 1997, Cour d’appel de Braşov)
GRIEFS
1. Le requérant estime tout d’abord que sa mise en détention provisoire par le parquet était contraire à l’article 5 § 1 c) de la Convention. Il fait valoir à cet égard qu’aucune preuve ou indice concret concernant les dangers qu’il aurait représenté pour l’ordre public n’ont été mentionnés par le parquet dans les ordonnances de mise en détention. Il souligne en outre qu’à la date à laquelle il a été mis sous mandat de dépôt, le parquet avait prononcé un non‑lieu à l’encontre de l’administrateur d’une autre société commerciale de Timişoara, qui avait conclu un contrat similaire avec la société Lunterton de Panama.
2. Il se plaint aussi de ne pas avoir été aussitôt traduit, après son arrestation, devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires, en violation de l’article 5 § 3 de la Convention. Il fait valoir à cet égard que le procureur compétent pour placer une personne sous mandat de dépôt n’offre pas les garanties exigées par la notion du magistrat, au sens de l’article 5 § 3 de la Convention
3. Selon lui, ses recours contre les jugements avant dire droit des 13 novembre et 9 décembre 1996 et du 13 janvier 1997 n’auraient pas été examinées à bref délai par un tribunal, au sens de l’article 5 § 4 de la Convention.
4. Par lettre non datée, parvenue au greffe de la Cour le 3 mars 2000, le requérant se plaint également de ce que, après avoir été traduit en jugement devant le tribunal de première instance de Bucarest, il a été illégalement maintenu en détention jusqu’à sa condamnation par l’arrêt définitif de la cour d’appel du 13 mars 1998. Invoquant en substance une violation de l’article 5 § 1 c) de la Convention, il fait valoir à cet égard que la prolongation de sa détention pendant son procès pénal n’a pas eu lieu selon les voies légales.
5. Le requérant estime ensuite que sa cause n’a pas été entendue par un tribunal impartial, en violation de l’article 6 § 1 de la Convention, en raison de ce que l’un des juges qui se sont prononcés sur le fond de l’affaire était le même juge qui avait présidé le tribunal lors des prolongations successives de sa détention provisoire les 13 novembre et 9 décembre 1996 et le 13 janvier 1997.
6. Invoquant le même article de la Convention, le requérant allègue aussi une atteinte au droit à un procès équitable. Il fait valoir à cet égard qu’il a été condamné uniquement sur la base des communications d’Interpol et que les mesures d’instruction qu’il a sollicitées ont été systématiquement rejetées par le parquet et par les tribunaux. Il estime aussi que le raisonnement du procureur énoncé dans son réquisitoire a eu pour les juges un poids déterminant, par rapport aux autres moyens de preuves qui avaient été versés au dossier.
7. Le requérant estime en outre ne pas avoir été présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie, au sens de l’article 6 § 2 de la Convention. Il fait valoir que le procureur chargé de l’instruction de son dossier aurait affirmé lors d’une audience publique devant le tribunal que sa mise en liberté serait un affront pour le département de Timiş, ce qui aurait éveillé l’hostilité des médias à son encontre.
8. Enfin, invoquant une atteinte à l’article 14, combiné en substance avec l’article 5 de la Convention, il estime avoir subi une discrimination, compte tenu de ce que, par ordonnance du parquet, il avait été placé sous mandat de dépôt, alors qu’un non‑lieu a été prononcé au bénéfice de l’administrateur d’une autre société de Timişoara, qui avait conclu un contrat similaire avec la société Lunterton de Panama.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint tout d’abord de ce que sa mise en détention provisoire par le parquet n’a pas eu lieu régulièrement et selon les voies légales, en violation de l’article 5 § 1 c) de la Convention, qui est libellé ainsi :
« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : (...) c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci (...) »
La Cour relève le requérant a été placé en détention provisoire par ordonnance du parquet du 19 octobre 1996 pour une durée de cinq jours et que la durée de sa détention a ensuite été prolongée par ordonnance du parquet du 23 octobre 1996. Or, dans la mesure où que le requérant allègue que lesdites ordonnances ne contenaient pas les raisons concrètes pour lesquelles son maintien en liberté aurait mis en danger l’ordre public, conformément à l’article 148 h) du C.P.P., la Cour note que le requérant n’a pas prouvé d’avoir introduit auprès du tribunal de première instance de Timişoara une plainte contre lesdites ordonnances, sur le fondement de l’article 1401 du C.P.P.
En tout état de cause, et à supposer qu’un tel recours ne serait pas efficace compte tenu de la pratique des juridictions nationales (voir supra, la pratique interne pertinente), la Cour note que les ordonnances de mise en détention provisoire dont le requérant conteste la légalité datent des 19 et respectivement 23 octobre 1996, soit plus de six mois avant la date d’introduction de sa requête.
Il s’ensuit que ce grief est tardif et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
2. Le requérant se plaint aussi de ne pas avoir aussitôt été traduit, après son arrestation, devant un juge ou un autre magistrat. Il invoquant l’article 5 § 3 de la Convention, qui dispose :
« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires (...) »
La Cour note tout d’abord que le grief du requérant porte sur une période qui a débuté le 18 octobre 1996, lorsqu’il a été placé en garde à vue, et qui a prit fin à la date à laquelle la durée de la détention provisoire ordonnée par ordonnances successives du procureur a expiré, soit le 16 novembre 1996. Elle relève, en effet, qu’à compter de cette dernière date, la prolongation de la détention provisoire du requérant a été ordonnée par le tribunal compétent pour statuer sur le bien-fondé des accusations à l’encontre du requérant, conformément à l’article 155 du C.P.P.
La Cour observe ensuite que la durée de détention litigieuse était conforme au droit interne et que, dans l’affaire Pantea c. Roumanie (déc., n° 33343/96, 6 mars 2001), le Gouvernement roumain a admis que la législation roumaine en la matière ne répond pas aux exigences de l’article 5 § 3 de la Convention, compte tenu de ce que le procureur compétent pour placer une personne sous mandat de dépôt n’offre pas les garanties exigées par la notion de magistrat, au sens de l’article 5 § 3 de la Convention.
Dans la mesure où le requérant ne disposait d’aucune voie de recours pour redresser la situation litigieuse, la Cour rappelle que le délai de six mois prévu par l’article 35 § 1 de la Convention court à partir de la fin de la situation incriminée (cf. Agaoglu c. Turquie (déc.), n° 27310/95, 28 août 2001). Or, en l’occurrence, la requête a été introduite le 8 décembre 1997, soit plus de six mois à compter de la date d’expiration de la durée de la détention provisoire ordonnée par le parquet.
Il s’ensuit que ce grief est également tardif et doit être rejeté, conformément à l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
3. Selon le requérant, ses recours contre les jugements par lesquels le tribunal avait prolongé, sur demande du parquet, sa détention provisoire n’auraient pas été examinés à bref délai, au sens de l’article 5 § 4 de la Convention, qui dispose :
« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »
La Cour relève que les recours formés par le requérant contre les jugements des 13 novembre et 9 décembre 1996 et du 13 janvier 1997 ont été tranchés par des décisions définitives du tribunal départemental de Timiş rendues respectivement les 11 décembre 1996, 8 janvier 1997 et 24 février 1997, soit plus de six mois avant la date d’introduction de la requête, le 8 décembre 1997. Il s’ensuit que ce grief est tardif et doit être rejeté, conformément à l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
4. Par lettre du 3 août 2000, le requérant se plaint aussi de ce que la prolongation de sa détention provisoire après avoir été traduit en jugement et jusqu’à sa condamnation définitive n’a pas eu lieu selon les voies légales. Il invoque en substance une atteinte à l’article 5 § 1 c) de la Convention précité.
La Cour relève que ce grief a trait à des faits qui ont commencé en février 1997, lorsque le requérant a été traduit, par réquisitoire du parquet, devant le tribunal de première instance, et qui ont prit fin par l’arrêt définitif de la cour d’appel du 18 octobre 1998, qui constitue la dernière décision interne définitive, au sens de l’article 35 § 1 de la Convention. Or, ce grief ayant été soulevé par lettre parvenue à la Cour le 3 octobre 2000, il s’ensuit qu’il est tardif et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
5. Le requérant se plaint ensuite que sa cause n’a pas été entendue par un tribunal impartial, en violation de l’article 6 § 1 de la Convention, qui dispose ainsi :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
Le Gouvernement estime que le fait que le juge I.D., après avoir participé, en tant que président du tribunal, au jugement des demandes successives de prolongation de sa détention les 13 novembre et 9 décembre 1996 et le 13 janvier 1997, a aussi fait partie de la formation qui s’est prononcé sur le bien-fondé des accusations à l’encontre du requérant, n’a pas privé ce dernier de la garantie d’un tribunal impartial, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. Il fait valoir à cet égard que les règles de procédure pénale en la matière interdisent au juge investi d’une demande de prolongation de la détention d’un tiers de se prononcer sur le bien-fondé de l’accusation portée à son encontre.
La Cour rappelle tout d’abord que le fait qu’un juge de première instance ou d’appel ait déjà pris des décisions avant le procès, notamment au sujet de la détention provisoire, ne peut justifier en soi les appréhensions du requérant quant à son impartialité (cf. les arrêts Nortier c. Pays-Bas du 24 août 1993, série A n° 267, § 33, Saraiva de Carvalho c. Portugal du 22 avril 1994, série A no 286-B, p. 38, § 35 et, a contrario, Hauschildt c. Danemark du 24 mai 1989, série A, n° 154, p. 21, § 51). Elle note aussi, avec le Gouvernement, que les règles de procédure pénale applicables en la matière interdisent au juge investi d’une demande de prolongation de la détention d’un tiers de se prononcer sur le bien-fondé de l’accusation portée à son encontre. Elle ne décèle pas, enfin, de circonstances particulières qui rendaient en l’occurrence les appréhensions du requérant objectivement justifiées.
Il s’ensuit que ce grief doit dès lors être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
6. Le requérant allègue aussi une atteinte au droit à un procès équitable compte tenu notamment de ce qu’il a été condamné uniquement sur la base des communications d’Interpol. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention précité.
Le Gouvernement fait valoir que les tribunaux ont attentivement examiné toutes les offres de preuves du requérant et ont rejeté celles qui n’étaient pas pertinentes, telle une commission rogatoire, une contre-expertise et l’audition des deux témoins, après avoir amplement motivé les raisons pour lesquelles lesdites preuves n’étaient pas utiles à l’établissement de la vérité judiciaire.
La Cour rappelle que sa tâche consiste à rechercher si la procédure litigieuse, envisagée en bloc, y compris le mode d’administration des preuves, a revêtu un caractère équitable (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Edwards c. Royaume-Uni du 16 décembre 1992, série A n° 247-B, pp. 34 et 35, § 34). Pour autant que le requérant se plaint de ce que les tribunaux l’ont condamné uniquement sur la base des communications d’Interpol et qu’ils ont rejeté certaines mesures d’instruction, la Cour rappelle que, selon une jurisprudence constante, il revient en principe aux juridictions nationales d’apprécier les éléments rassemblés par elles et la pertinence de ceux dont les parties souhaitent la production.
De surcroît, la Cour relève que le requérant a bénéficié d’une procédure contradictoire, qu’il a été entendu en présence de plusieurs avocats de son choix, qu’il a pu verser au dossier d’instruction des documents qu’il estimait utiles à sa défense et qu’il a été condamné sur la base des preuves considérées par les juridictions nationales comme étant pertinentes et suffisantes, par des décisions amplement motivées en fait et en droit. La Cour elle-même ne relève aucun élément d’arbitraire dans le dossier.
Il s’ensuit que ce grief doit dès lors être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
7. Le requérant se plaint aussi d’avoir subi une atteinte à son droit à la présomption d’innocence en raison d’une affirmation qu’aurait faite lors d’une audience publique le procureur chargé de l’instruction de son dossier. Il invoque l’article 6 § 2 de la Convention, qui est libellé ainsi :
« Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »
Le Gouvernement conteste fortement cette allégation du requérant, en faisant valoir qu’après avoir vérifié toutes les notes d’audience rédigées dans le cadre des procédures ayant eu lieu devant le tribunal de première instance ou devant le tribunal départemental, aucune affirmation de ce type n’a été faite par le procureur. Or, d’après le Gouvernement, tous les incidents qui surgissent lors d’une audience sont normalement consignés dans lesdites notes. En outre, le Gouvernement fait valoir que le requérant aurait pu récuser le procureur qui aurait fait une telle affirmation.
La Cour note que ce grief n’est étayé par aucun élément du dossier. Il s’ensuit qu’il doit dès lors être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
8. Enfin, le requérant estime avoir subi une discrimination, compte tenu de ce que, par ordonnance du parquet, il avait été placé sous mandat de dépôt, alors qu’un non‑lieu a été prononcé au bénéfice de l’administrateur d’une autre société de Timişoara. Il invoque l’article 14 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
La Cour note que ce grief n’est étayé par aucun élément du dossier. Il s’ensuit qu’il doit dès lors être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
S. Dollé J.-P. Costa Greffière Président