Wednesday, September 22, 2004

SUR LA RECEVABILITÉ de la requête n° 44696/98 présentée par Marcelini MUJEA contre la Roumanie

DEUXIEME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 44696/98présentée par Marcelini MUJEAcontre la Roumanie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 10 septembre 2002 en une chambre composée de
MM. J.-P. Costa, président, L. Loucaides, C. Bîrsan, K. Jungwiert, V. Butkevych, Mmes W. Thomassen, A. Mularoni, juges,et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 8 décembre 1997,
Vu l’article 5 § 2 du Protocole n° 11 à la Convention, qui a transféré à la Cour la compétence pour examiner la requête,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, Marcelini Mujea, est un ressortissant roumain, né en 1963 et résidant à Timişoara. Il est représenté par maître Ionel Olteanu, avocat au barreau de Bucarest.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
1. La mise en détention provisoire du requérant par le parquet
Dans la nuit du 7 au 8 février 1996, deux avions de type IL 18 appartenant aux compagnies aériennes Romavia et Jaro international, et un Boeing 707, appartenant à la compagnie Jaro international, atterrirent sur l’aéroport international de Timişoara. Ils transportaient des cigarettes, que la société commerciale Celini de Timişoara (ci-après « la société Celini »), dont le requérant était l’administrateur et actionnaire majoritaire, avait importées en vertu d’un contrat conclu avec la société Lunterton, sise à Panama. La marchandise avait été chargée à bord des avions à Chypre. Au moment de l’embarquement, des personnes s’étant présentées en tant que représentants de la société Air Trans‑Chypre avaient remis aux pilotes des avions, en billets de banque, le coût du transport de la marchandise.
A l’aéroport de Timişoara, les cigarettes furent réceptionnées par G.B., un représentant de la société Celini, qui effectua ensuite la déclaration douanière auprès de la société Romtrans, en vertu d’un pouvoir que le requérant lui avait donné en ce sens.
Entre les 19 et 25 février 1996, sept autres avions de type Boeing 707, appartenant à la compagnie de transport aérien Jaro international atterrirent sur les aéroports internationaux de Bucarest et de Timişoara, transportant des cigarettes que la société Celini avait importées, en vertu du même contrat. Les cigarettes furent chargées à bord des avions à Chypre et déchargées à la destination dans les mêmes conditions que le précédent transport.
Le 11 avril 1996, l’Inspectorat de police de Timişoara ordonna l’ouverture de poursuites pénales à l’encontre du requérant pour évasion fiscale, infraction prohibée par les articles 11 et 12 de la loi n° 87/1994. Dans le procès-verbal établi à cette occasion il était fait état de ce que, en février 1996, le requérant, en tant que dirigeant de la société Celini, avait importé des cigarettes de la société Lunterton de Panama et qu’il avait omis de déclarer aux autorités douanières la valeur du transport de la marchandise de Chypre en Roumanie, ainsi que les frais de manutention occasionnés par le chargement et le déchargement de la marchandise, ce qui avait porté au budget de l’Etat un préjudice de plus de 700 000 000 de lei.
Le 18 avril 1996, le requérant fut interrogé au sujet des faits qui lui étaient reprochés.
Les 2 et 19 avril 1996, plusieurs témoins furent entendus par les organes d’enquêtes, dont les dépositions furent versées au dossier d’instruction.
Le 18 octobre 1996, le requérant fut placé par la police en garde à vue pour en délai de 24 heures, en application de l’article 148 h) du Code de procédure pénale (ci-après le « C.P.P. » ). Dans l’ordonnance de placement en garde à vue il était fait état de ce qu’il y avait à l’encontre du requérant des preuves et des indices sérieux relatifs à sa culpabilité, mais aucun de ces indices ou de ces preuves n’était mentionné.
Par ordonnance du 19 octobre 1996, le procureur C.C. du parquet près la cour d’appel de Timişoara plaça le requérant en détention provisoire pour un délai de cinq jours, en application de l’article 148 d) et h) du Code de procédure pénale. Il faisait valoir que le requérant était soupçonné d’évasion fiscale, infraction prohibée par l’article 12 de la loi n° 87/1994, compte tenu de ce qu’en février 1996, il s’était soustrait au paiement des taxes fiscales, ayant omis de déclarer aux autorités douanières le coût du transport de la marchandise importée, ce qui avait causé un grave préjudice au budget de l’Etat.
Il mentionnait aussi que les indices sur lesquels l’accusation s’appuyait étaient le contrat de vente conclu entre les sociétés Celini et Lunterton le 30 septembre 1995, en original et en copie, traduite en roumain, les factures attestant le montant du coût du transport de la marchandise qui avait été payé aux transporteurs par une société tierce au contrat, à savoir Air Trans‑Chypre, ainsi qu’un rapport d’expertise comptable évaluant le montant des préjudices subis par l’Etat.
Le parquet estimait aussi que la mise en détention du requérant était nécessaire compte tenu du fait que ce dernier, après avoir déjà falsifié ledit contrat de vente, pourrait entraver à l’établissement de la vérité.
Par ordonnance du 23 octobre 1996, le procureur C.C. du parquet près la cour d’appel de Timişoara prolongea la durée de la détention provisoire pour une durée de vingt-cinq jours, expirant le 16 novembre 1996. Se fondant sur l’article 148 d) et h) du C.P.P., il estimait que le requérant encourait une peine privative de liberté supérieure à deux ans et qu’il y avait des preuves suffisantes de ce qu’il aurait commis une infraction. En particulier, le procureur s’appuyait sur la déclaration de deux témoins, sur une attestation envoyée à l’Inspection de la police par D.H.L., sur une adresse de l’office du Registre du commerce de Timiş, sur le rapport d’expertise comptable, ainsi que sur le contrat de vente conclu entre les deux sociétés et les factures y afférentes.
Le requérant n’a pas informé la Cour s’il a introduit auprès le tribunal de première instance de Timişoara une plainte contre les ordonnances du parquet des 19 novembre et 29 octobre 1996, sur le fondement de l’article 1401 du C.P.P.
2. Les prolongations successives, par les tribunaux, de la durée de la détention provisoire du requérant
Le 11 novembre 1996, le parquet sollicita auprès du tribunal la prolongation de la détention du requérant pour une durée de trente jours afin qu’il puisse procéder à une nouvelle audition des témoins et à leur confrontation avec le requérant.
Le 13 novembre 1996, le tribunal de première instance de Timişoara, composé de deux juges, dont I.D. en tant que président, accueillit sa demande, qu’il estima fondée, et prolongea la durée de la détention provisoire du requérant jusqu’au 14 décembre 1996. Lors de l’audience, qui eut en chambre du conseil, le requérant fut présent, assisté par son avocat et il fut entendu. Le ministère public fut représenté par le procureur C.C.
Le 14 novembre 1996, le requérant forma un recours contre ce jugement. Sa demande fut enregistrée au greffe du tribunal de Timiş le 22 novembre 1996. Il se plaignait notamment de ce que le dossier d’instruction n’avait pas été déposé par le parquet au greffe du tribunal deux jours avant l’audience du 13 novembre 1996, tel que l’exigeait l’article 159 § 2 du C.P.P., et que, dès lors, son avocat n’a pu ni le consulter, ni prendre davantage connaissances des preuves et indices sur lesquels le parquet s’était appuyé pour demander la prolongation de la durée de sa détention.
Le 9 décembre 1996, le tribunal départemental de Timiş, après avoir entendu les parties en audience publique, constata que le dossier des poursuites pénales, composé de trois volumes et contenant approximativement 300 pages, venait d’être déposé à son siège et estima nécessaire d’étudier ledit dossier.
Par jugement avant dire droit du 11 décembre 1996, le tribunal rejeta le recours du requérant. Le tribunal jugea que, bien que les exigences de l’article 159 § 2 du C.P.P. n’aient pas été respectées, l’avocat du requérant avait pu consulter la communication du Bureau international d’Interpol avant qu’il fasse ses conclusions sur la demande du parquet de prolongation de la détention de son client. Le tribunal nota qu’en tout état de cause, l’avocat du requérant aurait pu demander, s’il avait estimé nécessaire, un nouveau délai pour étudier l’ensemble du dossier.
A une date non précisée, le parquet sollicita du tribunal une nouvelle prolongation de la détention du requérant. Il faisait valoir que les poursuites pénales n’avaient pas encore été finalisées et qu’il allait procéder à l’audition d’autres témoins et à leur confrontation avec le requérant. Il mentionnait aussi qu’il était en attente d’une réponse des Bureaux d’Interpol à Chypre et à Panama, qui était nécessaire pour éclairer les faits en l’espèce.
Par jugement du 9 décembre 1996, le tribunal de première instance de Timişoara, composé de deux juges, dont I.D. en tant que président, accueillit la demande du parquet, qu’il estima fondée, et prolongea la détention du requérant jusqu’au 14 janvier 1997. Lors de l’audience, qui eut lieu publiquement, le requérant fut présent, assisté par son avocat et il fut entendu par le tribunal. Le ministère public était représenté par le procureur C.C.
Le 12 décembre 1996, le requérant forma un recours contre ce jugement. Il faisait valoir que son maintien en détention provisoire n’était pas nécessaire, compte tenu de ce qu’il ne pouvait nullement influencer l’obtention des documents nécessaires aux autorités d’enquête.
Par décision définitive du 8 janvier 1997, le tribunal départemental de Timiş rejeta son recours et confirma la décision rendue par la juridiction inférieure.
Le 6 janvier 1997, le parquet sollicita du tribunal une nouvelle prolongation de la détention du requérant pour une durée de trente jours, au motif qu’à la suite d’un radiogramme du Bureau Interpol il allait étendre les poursuites pénales à l’encontre du requérant à l’infraction de faux en écritures privées, prévue par l’article 290 du Code pénal.
Par jugement du 13 janvier 1997, le tribunal de première instance de Timişoara, composé de deux juges, dont I.D. en tant que président, accueillit la demande du parquet et prolongea la durée du dépôt du requérant jusqu’au 13 février 1997. Lors de l’audience, le ministère public était représenté par procureur C.C.
Le 14 janvier 1997, le requérant forma un recours contre ce jugement.
Le 17 février 1997, lors de l’audience publique devant le tribunal départemental de Timiş, l’avocat du requérant faisait valoir que le maintien en détention provisoire du requérant sur le fondement de l’article 148 h) du C.P.P. ne se justifiait plus, compte tenu de ce que les poursuites pénales avaient été clôturées par le parquet.
Par jugement avant dire droit du 19 février 1997, le tribunal remit le prononcé de son jugement au 19 février 1997, au motif que le dossier d’instruction ne pouvait pas être étudié, car il devait être retourné d’urgence au tribunal de première instance de Timişoara, saisi entre temps du bien‑fondé de l’affaire par réquisitoire du parquet.
Par décision définitive du 24 février 1997, le tribunal départemental de Timiş rejeta le recours formé par le requérant. Le tribunal constata qu’il n’avait pas pu le juger avec célérité compte tenu du manque du dossier d’instruction, mais qu’entre temps, l’affaire avait était portée devant les juges du fond, qui avaient confirmé la légalité de la détention du requérant, conformément à l’article 300 § 3 du C.P.P.
Selon le requérant, le procureur C.C. aurait affirmé lors de l’une des audiences publiques devant le tribunal départemental de Timişoara que sa mise en liberté serait un affront pour le département de Timiş (« o palmă pentru departamentul Timiş »).
3. La procédure sur le bien-fondé des accusations à l’encontre du requérant
En février 1997, le requérant fut traduit par réquisitoire du parquet devant le tribunal de première instance de Timişoara, pour faux en écritures privées, contrebande et évasion fiscale, infractions respectivement prévues par l’article 290 du Code pénal, l’article 72 de la loi n° 30/1978 et l’article 12 de la loi n° 87/1994.
Dans son réquisitoire, le parquet releva que le requérant, avec la complicité d’une personne non identifiée, et à l’égard de laquelle le parquet avait décidé de disjoindre les poursuites pénales, aurait rédigé un contrat fictif entre les sociétés Celini et Lunterton, sur la base duquel la société roumaine s’était vu livrer par un partenaire inconnu, entre les 7 et 25 février 1996, de grandes quantités de cigarettes à des prix sous-évalués, à savoir 8 dollars par cartouche au lieu de 10 dollars, prix minimal à l’importation des cigarettes fixé par décision n° 864/95 du Gouvernement. Il faisait valoir également aussi qu’en se prévalant de la règle Incoterms « coût, assurance et fret » (ci‑après « C.I.F. ») édictée par la Chambre de commerce Internationale et stipulée dans le contrat, le requérant avait omis sciemment de déclarer aux autorités douanières des frais de transport et de manipulation de la marchandise, ce qui avait causé à l’Etat un préjudice de 5 246 725 465 de lei, représentant les garanties douanières non acquittées, et de 742 187 465 de lei, représentant les frais de douane non payés.
Le 17 février 1997, les avocats du requérant firent une demande de récusation du juge I.D., président de la formation, au motif qu’il avait participé au jugement des demandes de prolongation de sa détention les 13 novembre et 9 décembre 1996 et le 13 janvier 1997. Ils faisaient valoir aussi que le juge I.D. avait été nommé vice-président du tribunal de première instance de Timişoara sur proposition du président du tribunal, ce qui aurait pu influencer ses décisions. Ils soulignaient en outre que ledit juge avait refusé de mettre à la disposition du tribunal départemental de Timiş le dossier d’instruction du requérant lors de la prolongation de la durée de sa détention provisoire. Ils faisaient valoir enfin qu’en 1996, le quotidien R.B. avait publié la transcription d’une conversation téléphonique entre une journaliste dudit quotidien et un membre de la société commerciale T., dans laquelle le nom du juge I.D. figurait en tant que personne ayant fourni des renseignements sur le procès du requérant.
Par jugement avant dire droit du 20 février 1997, le tribunal de première instance de Timişoara rejeta cette demande. Le tribunal jugea tout d’abord que le juge I.D. ne s’était pas prononcé préalablement sur le bien-fondé des accusations à l’encontre du requérant, mais il avait simplement jugé que son maintien en détention provisoire était nécessaire, compte tenu notamment de la nécessité de le confronter avec d’autres témoins. Le tribunal estima de surcroît que la participation du juge I.D. à la formation compétente pour connaître du bien-fondé de l’accusation ne constituait pas une raison d’incompatibilité dudit juge et ne pouvait pas porter préjudice aux droits procéduraux du requérant, mais, au contraire, elle pourrait en être considérée une garantie, dans la mesure où elle permettait au juge de bien connaître le dossier d’instruction dès les premières phases du procès pénal.
Le tribunal estima non étayée l’allégation selon laquelle le juge I.D. aurait refusé de mettre à la disposition du tribunal de Timiş le dossier d’instruction. Il souligna à cet égard que l’obligation de faire preuve de diligence pour que le dossier arrive à temps à un autre tribunal ne faisait pas partie des attributions du juge investi du bien-fondé d’une affaire.
Le tribunal estima également que le fait que, pendant les poursuites pénales, le requérant avait fait des déclarations relatives au président du tribunal de première instance de Timişoara ne saurait mettre en doute l’impartialité du juge I.D., même si celui-ci était vice-président du même tribunal. Il rappelait à cet égard que, selon la loi d’organisation judiciaire, c’était le ministère de la Justice, sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature, qui nommait les dirigeants des tribunaux.
Le tribunal jugea enfin que le fait que le nom du juge I.D. avait été véhiculé dans un article du quotidien R.B. n’était pas une raison de conclure à sa partialité dans l’affaire en cause.
Les 13 mars, 19 mai, 16 et 30 juin, 18 juillet et 1er septembre 1997, plusieurs audiences eurent lieu devant le tribunal de première instance de Timişoara, en formation de deux juges et présidé par I.D. Le requérant fut entendu, assisté par ses avocats. Il versa au dossier les documents qu’il jugeait pertinents pour sa cause et fit entendre plusieurs témoins.
Lors de l’audience du 16 juin 1997, l’un des avocats du requérant demanda une commission rogatoire à Panama et aux Etats-Unis afin notamment d’identifier les organes de direction de la société Lunterton et la réalité des rapports commerciaux entre celle-ci et la société Cellini. Le tribunal rejeta sa demande, au motif que les exigences de l’article 504 du C.P.P., selon lequel il incombait à la partie demanderesse d’individualiser les preuves sollicitées et d’indiquer les noms et l’adresse des témoins en vue d’être notifiés, n’étaient pas été remplies.
Le 1er septembre 1997, les avocats du requérant sollicitèrent la ré‑audition d’un témoin, l’audition d’un nouveau témoin et une contre‑expertise comptable. Ils demandèrent également aussi l’acquittement du requérant, s’appuyant sur les articles 10, a), b) et d) et 11 § 2 a) combinés du Code de procédure pénale, selon lesquels il y a acquittement si l’infraction n’existait pas, n’était pas prévue par la loi, ou s’il manquait l’un de ses éléments constitutifs. Or, ils faisaient valoir que le requérant ne pouvait pas être accusé de contrebande, car il avait simplement exécuté un contrat entre deux parties.
Le tribunal rejeta tout d’abord ces demandes de mesures d’instruction, estimant qu’elles n’étaient pas pertinentes. En particulier, il constata que les conclusions des deux expertises effectuées sur ordre du parquet et du tribunal n’étaient pas contradictoires et jugea, dès lors, qu’une contre‑expertise ne s’imposait pas.
Par jugement du même jour, il condamna le requérant à une peine de six ans d’emprisonnement pour faux en écritures privées, contrebande et évasion fiscale, infractions respectivement prévues par l’article 290 du Code pénal, l’article 72 de la loi n° 30 de 1978 et l’article 12 de la loi n° 87 de 1884. Le tribunal déduisit de cette peine la durée de sa détention, à compter du 18 octobre 1996 au 1er septembre 1997, et maintint la détention du requérant. Il condamna aussi le requérant à une peine complémentaire d’interdiction des droits civils, prévue par l’article 64 du Code pénal. Il le condamna enfin à verser 6 410 001 516 de lei à la partie civile, à savoir la Direction générale des douanes de Bucarest.
Le tribunal jugea tout d’abord que le contrat sur la base duquel la société Celini avait importé des cigarettes était faux et prononça son annulation. Il s’appuyait sur une attestation de la société D.H.L., selon laquelle, à la date des faits litigieux, la société Celini n’avait pas reçu de correspondance par le biais de D.H.L., alors que le requérant avait déclaré, pendant l’instruction, qu’à la suite de la négociation du contrat par téléphone et fax, les représentants de la société Lunterton de Panama le lui auraient envoyé par D.H.L. Le tribunal s’appuyait aussi sur les vérifications effectuées par les Bureaux Interpol à Bucarest et à Panama, qui avaient conclu que ni l’avocat de la société panaméenne, ni son président directeur général, n’avaient conclu de transaction ou de contrat commercial avec la société Cellini et qu’ils ne connaissaient ni le requérant, ni sa société.
Ensuite, le tribunal jugea que le requérant avait fait de la contrebande de cigarettes car, en se prévalant de faux documents, il avait introduit dans le pays des cigarettes à des prix inférieurs à ceux fixés par décision du Gouvernement.
Enfin, il jugea que le requérant s’était soustrait au paiement des taxes fiscales, car, en se prévalant de la règle C.I.F. stipulée dans le contrat de vente, il avait omis de déclarer aux autorités douanières le prix de transport et de manutention de la marchandise importée. Or, le tribunal estima que cette clause n’était pas applicable en l’espèce. Il s’appuya à cet égard sur la présomption qu’un fournisseur ne peut pas vendre à perte. Ainsi, le tribunal, constata que la valeur de la marchandise était inférieure au coût du transport, qui, selon la règle C.I.F., aurait dû être supporté par le fournisseur et conclut qu’une telle situation serait inadmissible.
Pour conclure à l’inapplicabilité de la clause C.I.F. stipulée dans le contrat, le tribunal constata également que le paiement du transport avait été effectué à Chypre directement aux pilotes, par des personnes prétendument représentant la société Air Trans Chypre. Or, ainsi qu’il résultait d’une communication d’Interpol, une telle société n’existait pas. En outre, le tribunal constata que le requérant n’avait pas apporté la preuve d’un éventuel contrat entre la société Lunterton et la société Air Trans Chypre, bien que les avocats du requérant l’aient annoncé.
Le requérant fit appel de ce jugement. Il faisait valoir qu’il était un commerçant de bonne foi et qu’il n’avait pas pu mettre en doute la légalité du contrat reçu de la part de ses partenaires de la société Lunteron, d’autant plus qu’un contrat du même type avait été conclu avec la même société par la société J. de Timişoara, et dont la légalité n’avait jamais été contestée par le parquet.
Il se plaignait aussi que les juges du fond avaient annulé le contrat de vente sur la base de simples informations fournies par Interpol et qu’ils avaient ignoré la sommation de paiement adressée par la société Lunterton à la société Celini. Il se plaignait également que le tribunal n’avait pas accueilli sa demande par laquelle il sollicitait une commission rogatoire afin de confirmer ou infirmer l’existence des rapports contractuels entre les deux parties au contrat. Il faisait valoir en outre que les prix réduits des cigarettes prévus dans le contrat se justifiaient par le caractère promotionnel de la vente sur le marché roumain. Il sollicita enfin son acquittement, en vertu des articles 10 a) et 11 § 2 a) combinés du C.P.P., selon lesquels il y acquittement si l’infraction n’existe pas.
A titre subsidiaire, il demandait au tribunal de renvoyer le dossier au parquet pour complément d’enquête ou, si une telle demande n’était pas accueillie, d’ordonner une expertise financière et comptable, pour évaluer le montant des taxes douanières dues dans les conditions de l’applicabilité de la clause C.I.F. du contrat, et d’établir si, dans un tel cas, l’Etat avait subi un préjudice. Il demandait aussi la délivrance d’une commission rogatoire à Panama, aux Etats-Unis et à Chypre, afin d’établir la réalité des rapports contractuels entre les deux sociétés contractantes, l’étendue du mandat de leur avocat qui avait déclaré qu’entre les deux sociétés il n’y avait pas eu de rapports contractuels, et afin d’identifier la société qui avait payé le transport. Il sollicita aussi l’audition d’un témoin supplémentaire, dont la déposition aurait permis d’élucider les événements ayant précédé la conclusion du contrat de vente.
Enfin, il se plaignait de l’illégalité de sa détention et demanda sa mise en liberté immédiate.
Par décision du 20 novembre 1997, le tribunal départemental de Timiş rejeta son appel et confirma le jugement prononcé par la juridiction inférieure.
Il releva, quant à la validité du contrat, que le requérant avait fait des déclarations contradictoires pendant les poursuites pénales et devant les tribunaux, et qu’il n’avait pas été à même d’identifier les personnes avec lesquelles il avait conclu le contrat litigieux. Il souligna en outre que le requérant n’avait pas payé la marchandise et que le fournisseur n’avait fait aucun acte de procédure pour récupérer sa créance. Quant à la sommation de paiement que la société Lunterton aurait envoyé à la société Celini, le tribunal releva que la personne qui l’avait signée en tant que président de la société Lunterton était différente de celle dont le nom avait été indiqué par le télégramme d’Interpol comme ayant cette fonction et estima, qu’en tout état de cause, elle ne confirmait pas l’existence du contrat de vente.
Le tribunal jugea dès lors que les juges du fond avaient correctement interprété et apprécié les preuves qui avaient été versées au dossier et qu’une commission rogatoire n’était pas nécessaire en l’espèce.
Il ordonna le maintien en détention du requérant et déduisit de la peine de prison prononcée à son encontre par le tribunal de première instance la période qui s’était écoulée depuis le 1er septembre 1997.
Le requérant forma un recours contre cette décision. Il sollicitait son acquittement, en vertu des articles 11 pt. 2 a) et 10 a) combinés du C.P.P. Subsidiairement, il demandait le renvoi du dossier au parquet ou un nouvel examen de sa cause par l’instance de recours. Il faisait valoir que les tribunaux inférieurs s’étaient fondés sur les communications d’Interpol, qui était une organisation non gouvernementale, et qu’ils n’avaient pas accueilli toutes les mesures d’instruction qu’il avait demandées en appel, ce qui les avait amenés à des conclusions erronées concernant la légalité du contrat de vente et sa prétendue utilisation dans le but d’éluder la loi.
Par arrêt définitif du 13 mars 1998, la cour d’appel de Timişoara rejeta son recours. Elle confirma la décision des tribunaux inférieurs, et estima que le refus de ces derniers d’ordonner certaines mesures d’instruction sollicitées par le requérant n’était pas de nature à faire conclure que le renvoi du dossier devant le parquet était nécessaire, car les preuves retenues par les juges du fond étaient pertinentes et suffisantes pour prouver la culpabilité du requérant. La cour d’appel ordonna la déduction de la peine de prison prononcée à l’encontre du requérant la durée de sa détention du 21 novembre 1997 au 13 mars 1998.
B. Le droit et la pratique internes pertinents
1. Les dispositions pertinentes du Code de procédure pénale

Article 136 sur la finalité et les catégories des mesures provisoires
« Dans les causes relatives aux infractions punies de prison ferme, afin d’assurer le bon déroulement du procès pénal et pour empêcher que la personne soupçonnée ou l’inculpé ne se soustraie aux poursuites pénales [...], l’une des mesures préventives suivantes peut être adoptée à son encontre : [...] 1c) la détention provisoire. [...] La mesure prévue par l’article 136 § 1 c) peut être adoptée par le procureur ou par un tribunal. »
Article 137 sur la forme de l’acte par lequel une mesure provisoire est adoptée
« L’acte par lequel une mesure provisoire est adoptée doit monter le faits qui font l’objet de l’inculpation, son fondement légal, la peine prévue par la loi pour l’infraction en cause et les motifs concrets qui ont déterminé l’adoption de la mesure provisoire. »
Article 1401 sur la plainte contre les mesures provisoires adoptées par le procureur
« § 1. Contre l’ordonnance de mise en détention provisoire [...] [l’intéressé] peut introduire une plainte auprès du tribunal compétent de juger le bien-fondé de la cause. § 2. La plainte et le dossier de la cause est envoyée au tribunal prévu au § 1 dans un délai de 24 heures et le prévenu ou l’inculpé arrêté est amené devant ce tribunal, assisté par un avocat. [...] § 5. Le tribunal se prononce le jour même, par jugement avant dire droit, sur la légalité de la mesure provisoire, après avoir entendu le prévenu ou l’inculpé. § 6. Le jugement avant dire doit est susceptible de recours. Le délai de recors est de 3 jours [...] § 8. Lorsque le tribunal estime que la mesure provisoire est illégale, il dispose sa révocation 3et la mise en liberté du prévenu ou de l’inculpé [...] »
Article 143 sur la garde à vue
« L’autorité qui effectue les poursuites pénales peut garder à vue une personne s’il y a des preuves ou des indices forts qu’elle a commis un fait prohibé par la loi pénale. [...] Il existe des indices forts lorsque à partir des données existantes dans l’affaire en cause, celui à l’encontre duquel les poursuites pénales s’effectuent peut être soupçonné d’avoir commis les faits reprochés. »
Article 146 sur la mise en détention provisoire du prévenu
« Lorsque les exigences de l’article 143 sont remplies et dans l’un des cas prévus par l’article 148 du Code pénal, le procureur peut disposer, d’office ou sur demande de l’organe des poursuites pénales, la mise en détention du suspect, par ordonnance motivée, en étayant les fondements légaux qui justifient l’arrestation et pour une durée qui ne saurait dépasser 5 jours. »
Article 148 sur la mise en détention provisoire de l’inculpé
« La mise en détention du requérant peut être ordonnée [par le procureur] si les exigences prévues par l’article 143 sont remplies et seulement dans l’un des cas suivants : [...] h) l’inculpé a commis une infraction pour laquelle la loi prévoie une peine de prison de plus de 2 ans et le fait de le laisser en liberté constituerait un danger pour l’ordre public. »
Article 149 sur la durée de la détention provisoire de l’inculpé
« La durée de la détention provisoire de l’inculpé [ordonnée par le parquet] ne peut dépasser un mois, sauf dans les cas où elle est prolongée selon les voies légales. »
Article 155 sur la prolongation de la durée de la détention provisoire de l’inculpé
« La durée de la détention provisoire de l’inculpée peut être prolongée en cas de besoin seulement de façon motivée. La prolongation de la durée de la détention provisoire peut être ordonnée par le tribunal qui est compétent de statuer sur le bien‑fondé des accusations [...] »
Article 159 sur la procédure de prolongation de la durée de la détention provisoire par le tribunal
« La formation de jugement est présidée par le président du tribunal ou par un juge désigné par celui-ci et la participation du procureur est obligatoire.
Le dossier d’instruction est déposé par le procureur [au tribunal] au moins deux jours avant l’audience et peut être consulté par l’avocat sur demande. L’inculpé est amené devant le tribunal, assisté par un avocat. [...] Si le tribunal octroie la prolongation [de la durée de la détention], elle ne saurait dépasser 30 jours.
Le procureur ou l’inculpé peuvent introduire un recours contre le jugement avant dire droit par lequel le tribunal a statué sur la prolongation de la durée de la détention provisoire. Le délai de recours est de 3 jours et court à compter du prononcé du jugement pour ceux qui y sont présents [...] Le recours [...] n’est pas suspensif d’exécution. »
2. La pratique interne pertinente
Concernant le concept de « danger pour l’ordre public », au sens de l’article 148 h) du C.P.P., les juridictions roumaines se sont ainsi exprimées :

« Le concept de danger pour l’ordre public dans le sens de la loi pénale n’a pas seulement le sens d’un danger concret et immédiat, représenté par la possibilité de la continuation de l’activité criminelle ; le danger pour l’ordre public doit être compris comme une réaction collective contre une situation négative, réaction qui pourrait produire des perturbations au niveau de la discipline publique, du respect de la loi, en stimulant la crainte collective que les organes compétents n’agissent pas d’une manière effective contre les actes dangereux, que la loi n’est pas appliquée de manière résolue» (déc. n° 68/R du 5 mars 1997, Cour d’appel de Braşov).
« [...] à la différence du danger social concret de l’infraction commise, le danger pour l’ordre public auquel fait référence l’article 148 § h du C.P.P. présuppose une résonance sociale de l’infraction, une atteinte contre l’équilibre social normal, un certain état de crainte installé parmi l’opinion publique, une certaine indignation, une réprobation publique ou un certain état d’insécurité sociale. » (déc. n° 66/R du 28 février 1997, Cour d’appel de Braşov)
GRIEFS
1. Le requérant estime tout d’abord que sa mise en détention provisoire par le parquet était contraire à l’article 5 § 1 c) de la Convention. Il fait valoir à cet égard qu’aucune preuve ou indice concret concernant les dangers qu’il aurait représenté pour l’ordre public n’ont été mentionnés par le parquet dans les ordonnances de mise en détention. Il souligne en outre qu’à la date à laquelle il a été mis sous mandat de dépôt, le parquet avait prononcé un non‑lieu à l’encontre de l’administrateur d’une autre société commerciale de Timişoara, qui avait conclu un contrat similaire avec la société Lunterton de Panama.
2. Il se plaint aussi de ne pas avoir été aussitôt traduit, après son arrestation, devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires, en violation de l’article 5 § 3 de la Convention. Il fait valoir à cet égard que le procureur compétent pour placer une personne sous mandat de dépôt n’offre pas les garanties exigées par la notion du magistrat, au sens de l’article 5 § 3 de la Convention
3. Selon lui, ses recours contre les jugements avant dire droit des 13 novembre et 9 décembre 1996 et du 13 janvier 1997 n’auraient pas été examinées à bref délai par un tribunal, au sens de l’article 5 § 4 de la Convention.
4. Par lettre non datée, parvenue au greffe de la Cour le 3 mars 2000, le requérant se plaint également de ce que, après avoir été traduit en jugement devant le tribunal de première instance de Bucarest, il a été illégalement maintenu en détention jusqu’à sa condamnation par l’arrêt définitif de la cour d’appel du 13 mars 1998. Invoquant en substance une violation de l’article 5 § 1 c) de la Convention, il fait valoir à cet égard que la prolongation de sa détention pendant son procès pénal n’a pas eu lieu selon les voies légales.
5. Le requérant estime ensuite que sa cause n’a pas été entendue par un tribunal impartial, en violation de l’article 6 § 1 de la Convention, en raison de ce que l’un des juges qui se sont prononcés sur le fond de l’affaire était le même juge qui avait présidé le tribunal lors des prolongations successives de sa détention provisoire les 13 novembre et 9 décembre 1996 et le 13 janvier 1997.
6. Invoquant le même article de la Convention, le requérant allègue aussi une atteinte au droit à un procès équitable. Il fait valoir à cet égard qu’il a été condamné uniquement sur la base des communications d’Interpol et que les mesures d’instruction qu’il a sollicitées ont été systématiquement rejetées par le parquet et par les tribunaux. Il estime aussi que le raisonnement du procureur énoncé dans son réquisitoire a eu pour les juges un poids déterminant, par rapport aux autres moyens de preuves qui avaient été versés au dossier.
7. Le requérant estime en outre ne pas avoir été présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie, au sens de l’article 6 § 2 de la Convention. Il fait valoir que le procureur chargé de l’instruction de son dossier aurait affirmé lors d’une audience publique devant le tribunal que sa mise en liberté serait un affront pour le département de Timiş, ce qui aurait éveillé l’hostilité des médias à son encontre.
8. Enfin, invoquant une atteinte à l’article 14, combiné en substance avec l’article 5 de la Convention, il estime avoir subi une discrimination, compte tenu de ce que, par ordonnance du parquet, il avait été placé sous mandat de dépôt, alors qu’un non‑lieu a été prononcé au bénéfice de l’administrateur d’une autre société de Timişoara, qui avait conclu un contrat similaire avec la société Lunterton de Panama.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint tout d’abord de ce que sa mise en détention provisoire par le parquet n’a pas eu lieu régulièrement et selon les voies légales, en violation de l’article 5 § 1 c) de la Convention, qui est libellé ainsi :
« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : (...) c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci (...) »
La Cour relève le requérant a été placé en détention provisoire par ordonnance du parquet du 19 octobre 1996 pour une durée de cinq jours et que la durée de sa détention a ensuite été prolongée par ordonnance du parquet du 23 octobre 1996. Or, dans la mesure où que le requérant allègue que lesdites ordonnances ne contenaient pas les raisons concrètes pour lesquelles son maintien en liberté aurait mis en danger l’ordre public, conformément à l’article 148 h) du C.P.P., la Cour note que le requérant n’a pas prouvé d’avoir introduit auprès du tribunal de première instance de Timişoara une plainte contre lesdites ordonnances, sur le fondement de l’article 1401 du C.P.P.
En tout état de cause, et à supposer qu’un tel recours ne serait pas efficace compte tenu de la pratique des juridictions nationales (voir supra, la pratique interne pertinente), la Cour note que les ordonnances de mise en détention provisoire dont le requérant conteste la légalité datent des 19 et respectivement 23 octobre 1996, soit plus de six mois avant la date d’introduction de sa requête.
Il s’ensuit que ce grief est tardif et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
2. Le requérant se plaint aussi de ne pas avoir aussitôt été traduit, après son arrestation, devant un juge ou un autre magistrat. Il invoquant l’article 5 § 3 de la Convention, qui dispose :
« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires (...) »
La Cour note tout d’abord que le grief du requérant porte sur une période qui a débuté le 18 octobre 1996, lorsqu’il a été placé en garde à vue, et qui a prit fin à la date à laquelle la durée de la détention provisoire ordonnée par ordonnances successives du procureur a expiré, soit le 16 novembre 1996. Elle relève, en effet, qu’à compter de cette dernière date, la prolongation de la détention provisoire du requérant a été ordonnée par le tribunal compétent pour statuer sur le bien-fondé des accusations à l’encontre du requérant, conformément à l’article 155 du C.P.P.
La Cour observe ensuite que la durée de détention litigieuse était conforme au droit interne et que, dans l’affaire Pantea c. Roumanie (déc., n° 33343/96, 6 mars 2001), le Gouvernement roumain a admis que la législation roumaine en la matière ne répond pas aux exigences de l’article 5 § 3 de la Convention, compte tenu de ce que le procureur compétent pour placer une personne sous mandat de dépôt n’offre pas les garanties exigées par la notion de magistrat, au sens de l’article 5 § 3 de la Convention.
Dans la mesure où le requérant ne disposait d’aucune voie de recours pour redresser la situation litigieuse, la Cour rappelle que le délai de six mois prévu par l’article 35 § 1 de la Convention court à partir de la fin de la situation incriminée (cf. Agaoglu c. Turquie (déc.), n° 27310/95, 28 août 2001). Or, en l’occurrence, la requête a été introduite le 8 décembre 1997, soit plus de six mois à compter de la date d’expiration de la durée de la détention provisoire ordonnée par le parquet.
Il s’ensuit que ce grief est également tardif et doit être rejeté, conformément à l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
3. Selon le requérant, ses recours contre les jugements par lesquels le tribunal avait prolongé, sur demande du parquet, sa détention provisoire n’auraient pas été examinés à bref délai, au sens de l’article 5 § 4 de la Convention, qui dispose :
« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »
La Cour relève que les recours formés par le requérant contre les jugements des 13 novembre et 9 décembre 1996 et du 13 janvier 1997 ont été tranchés par des décisions définitives du tribunal départemental de Timiş rendues respectivement les 11 décembre 1996, 8 janvier 1997 et 24 février 1997, soit plus de six mois avant la date d’introduction de la requête, le 8 décembre 1997. Il s’ensuit que ce grief est tardif et doit être rejeté, conformément à l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
4. Par lettre du 3 août 2000, le requérant se plaint aussi de ce que la prolongation de sa détention provisoire après avoir été traduit en jugement et jusqu’à sa condamnation définitive n’a pas eu lieu selon les voies légales. Il invoque en substance une atteinte à l’article 5 § 1 c) de la Convention précité.
La Cour relève que ce grief a trait à des faits qui ont commencé en février 1997, lorsque le requérant a été traduit, par réquisitoire du parquet, devant le tribunal de première instance, et qui ont prit fin par l’arrêt définitif de la cour d’appel du 18 octobre 1998, qui constitue la dernière décision interne définitive, au sens de l’article 35 § 1 de la Convention. Or, ce grief ayant été soulevé par lettre parvenue à la Cour le 3 octobre 2000, il s’ensuit qu’il est tardif et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
5. Le requérant se plaint ensuite que sa cause n’a pas été entendue par un tribunal impartial, en violation de l’article 6 § 1 de la Convention, qui dispose ainsi :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
Le Gouvernement estime que le fait que le juge I.D., après avoir participé, en tant que président du tribunal, au jugement des demandes successives de prolongation de sa détention les 13 novembre et 9 décembre 1996 et le 13 janvier 1997, a aussi fait partie de la formation qui s’est prononcé sur le bien-fondé des accusations à l’encontre du requérant, n’a pas privé ce dernier de la garantie d’un tribunal impartial, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. Il fait valoir à cet égard que les règles de procédure pénale en la matière interdisent au juge investi d’une demande de prolongation de la détention d’un tiers de se prononcer sur le bien-fondé de l’accusation portée à son encontre.
La Cour rappelle tout d’abord que le fait qu’un juge de première instance ou d’appel ait déjà pris des décisions avant le procès, notamment au sujet de la détention provisoire, ne peut justifier en soi les appréhensions du requérant quant à son impartialité (cf. les arrêts Nortier c. Pays-Bas du 24 août 1993, série A n° 267, § 33, Saraiva de Carvalho c. Portugal du 22 avril 1994, série A no 286-B, p. 38, § 35 et, a contrario, Hauschildt c. Danemark du 24 mai 1989, série A, n° 154, p. 21, § 51). Elle note aussi, avec le Gouvernement, que les règles de procédure pénale applicables en la matière interdisent au juge investi d’une demande de prolongation de la détention d’un tiers de se prononcer sur le bien-fondé de l’accusation portée à son encontre. Elle ne décèle pas, enfin, de circonstances particulières qui rendaient en l’occurrence les appréhensions du requérant objectivement justifiées.
Il s’ensuit que ce grief doit dès lors être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
6. Le requérant allègue aussi une atteinte au droit à un procès équitable compte tenu notamment de ce qu’il a été condamné uniquement sur la base des communications d’Interpol. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention précité.
Le Gouvernement fait valoir que les tribunaux ont attentivement examiné toutes les offres de preuves du requérant et ont rejeté celles qui n’étaient pas pertinentes, telle une commission rogatoire, une contre-expertise et l’audition des deux témoins, après avoir amplement motivé les raisons pour lesquelles lesdites preuves n’étaient pas utiles à l’établissement de la vérité judiciaire.
La Cour rappelle que sa tâche consiste à rechercher si la procédure litigieuse, envisagée en bloc, y compris le mode d’administration des preuves, a revêtu un caractère équitable (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Edwards c. Royaume-Uni du 16 décembre 1992, série A n° 247-B, pp. 34 et 35, § 34). Pour autant que le requérant se plaint de ce que les tribunaux l’ont condamné uniquement sur la base des communications d’Interpol et qu’ils ont rejeté certaines mesures d’instruction, la Cour rappelle que, selon une jurisprudence constante, il revient en principe aux juridictions nationales d’apprécier les éléments rassemblés par elles et la pertinence de ceux dont les parties souhaitent la production.
De surcroît, la Cour relève que le requérant a bénéficié d’une procédure contradictoire, qu’il a été entendu en présence de plusieurs avocats de son choix, qu’il a pu verser au dossier d’instruction des documents qu’il estimait utiles à sa défense et qu’il a été condamné sur la base des preuves considérées par les juridictions nationales comme étant pertinentes et suffisantes, par des décisions amplement motivées en fait et en droit. La Cour elle-même ne relève aucun élément d’arbitraire dans le dossier.
Il s’ensuit que ce grief doit dès lors être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
7. Le requérant se plaint aussi d’avoir subi une atteinte à son droit à la présomption d’innocence en raison d’une affirmation qu’aurait faite lors d’une audience publique le procureur chargé de l’instruction de son dossier. Il invoque l’article 6 § 2 de la Convention, qui est libellé ainsi :
« Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »
Le Gouvernement conteste fortement cette allégation du requérant, en faisant valoir qu’après avoir vérifié toutes les notes d’audience rédigées dans le cadre des procédures ayant eu lieu devant le tribunal de première instance ou devant le tribunal départemental, aucune affirmation de ce type n’a été faite par le procureur. Or, d’après le Gouvernement, tous les incidents qui surgissent lors d’une audience sont normalement consignés dans lesdites notes. En outre, le Gouvernement fait valoir que le requérant aurait pu récuser le procureur qui aurait fait une telle affirmation.
La Cour note que ce grief n’est étayé par aucun élément du dossier. Il s’ensuit qu’il doit dès lors être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
8. Enfin, le requérant estime avoir subi une discrimination, compte tenu de ce que, par ordonnance du parquet, il avait été placé sous mandat de dépôt, alors qu’un non‑lieu a été prononcé au bénéfice de l’administrateur d’une autre société de Timişoara. Il invoque l’article 14 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
La Cour note que ce grief n’est étayé par aucun élément du dossier. Il s’ensuit qu’il doit dès lors être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
S. Dollé J.-P. Costa Greffière Président

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