Wednesday, September 29, 2004

AFFAIRE SABOU ET PIRCALAB c. ROUMANIE Requête no 46572/99 - 28 septembre 2004

DEUXIÈME SECTION





AFFAIRE SABOU ET PIRCALAB c. ROUMANIE
(Requête no 46572/99)









ARRÊT


STRASBOURG
28 septembre 2004

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Sabou et Pircalab c. Roumanie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,A.B. Baka,L. Loucaides,C. Bîrsan,
K. Jungwiert,M. Ugrekhelidze,Mme A. Mularoni, juges,et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 septembre 2004,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 46572/99) dirigée contre la Roumanie et dont deux ressortissants de cet Etat, MM. Dan Corneliu Sabou et Cãlin Dan Pîrcãlab (« les requérants »), avaient saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme le 25 septembre 1998 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants sont représentés par Me Monica Macovei, avocate au barreau de Bucarest. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme Roxana Rizoiu, du ministère des Affaires Étrangères.
3. Les requérants alléguaient une violation de leur droit à la liberté d'expression, garanti par l'article 10 de la Convention, en raison de leur condamnation après la publication d'une série d'articles dans un journal local. Le premier requérant alléguait que l'interdiction de ses droits parentaux avait porté atteinte au droit au respect de sa vie familiale, garanti par l'article 8 de la Convention. Il se plaignait également de ne pas avoir disposé d'un recours effectif, tel que garanti par l'article 13 de la Convention, contre la violation alléguée de son droit au respect de sa vie familiale.
4. La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d'entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole no 11).
5. La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.
6. Par une décision du 2 septembre 2003, la chambre a déclaré la requête partiellement recevable.
7. Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
8. Les requérants sont nés respectivement en 1971 et 1968 et résident à Baia Mare. Ils sont journalistes au quotidien local « Ziua de Nord-Vest ».
A. Les articles incriminés
9. Le 2 avril 1997, ils publièrent un article intitulé « L.M., la mère de la présidente du tribunal de première instance de Baia Mare, a abusivement privé de leurs terrains douze paysans. » Une partie de l'article est reproduite ci-après :
« Le représentant d'un groupe de douze paysans du village de Mânãu du département de Maramureş s'est présenté à la rédaction de notre journal et nous a présenté des documents qui attestaient leur droit de propriété sur un terrain connu sous le nom de Vapa. Sur la base du décret no 444/1953 (...), ils sont devenus propriétaires de quelques parcelles de terrain. A partir de 1992, la Mairie de Ulmeni leur a délivré des titres de propriété sur ces parcelles. Toutefois, en 1993, ils ont été abusivement privés de leurs terrains. La personne qui est entrée en possession de ces terrains est L.M., la mère de la présidente du tribunal de première instance de Baia Mare. Elle avait obtenu un titre de propriété et elle avait ensuite loué ces terrains. Les paysans nous ont déclaré qu'ils ne savaient pas comment récupérer les terrains, parce que la présidente du tribunal exerçait une grande influence sur les autorités locales. »
10. Le 3 avril 1997, le premier requérant publia un deuxième article intitulé "La présidente du tribunal affirme que sa mère avait le droit d'obtenir le terrain qui avait appartenu à douze paysans d'Ulmeni". Une partie de l'article est reproduite ci-après :
« La présidente du tribunal affirme que sa mère avait le droit d'obtenir le droit de propriété sur les terrains en question parce qu'en 1953, elle avait été obligée d'en faire don à l'Etat. La loi de l'époque prévoyait que les fonctionnaires devaient choisir entre leur emploi et leur droit de propriété sur leurs terrains. L.M. avait gardé l'emploi et par conséquent, son terrain avait été attribué à quelques paysans. Après décembre 1989, elle a revendiqué son ancien terrain. Les autorités locales ont proposé aux paysans qui avaient déjà des titres de propriété sur le terrain litigieux d'accepter, en compensation, des terrains sur d'autres emplacements. Parce que l'influence dont jouit la présidente du tribunal était plus grande que les souhaits des paysans, L.M. a eu gain de cause et a obtenu un titre de propriété sur ces terres. Hier, nous avons essayé de contacter la présidente du tribunal. Un juge nous a informé que « la présidente n'est pas dans son bureau », bien qu'auparavant, d'autres fonctionnaires nous aient dit qu'elle y était. De plus, notre demande de savoir le nom complet de la présidente a été rejetée au motif qu' « une telle information ne pouvait pas être fournie ». Comme M.I. n'est que la présidente du tribunal, et non pas un agent secret, nous ne voyons pas pourquoi son nom ne pouvait pas être divulgué. »
11. Le 10 avril 1997, le premier requérant publia un autre article intitulé « La présidente du tribunal est accusée de faux et d'usage de faux documents ». Une partie de l'article est reproduite ci-après :
« M.I. a bénéficié de l'aide de l'ancien préfet D.B. Effrayée par les éventuelles conséquences, elle recourt aux menaces. La police enquête sur l'affaire.
(...) M.I. a essayé d'utiliser de faux documents pour déposséder un voisin de son terrain. De surcroît, quand elle s'est rendue compte qu'elle ne pouvait pas obtenir gain de cause dans l'action qu'elle avait introduite, elle l'a menacé directement. Notre rédaction possède quelques documents qui attestent ces faits. Il est important de mentionner que M.I. a refusé de confirmer ou de contester l'authenticité de ces documents. Elle a exprimé son mécontentement quant aux articles que nous avons publiés et, par conséquent, elle refuse toute déclaration.
La famille de M.I. occupe abusivement un terrain
I.C. habite la rue du 22 Décembre au no 25/3 et il est le voisin de M.I., la présidente du tribunal de Baia Mare. Par décision no 11735/79, la Mairie de Baia Mare lui accorda un droit d'accès à sa maison, à travers un terrain de 396 m2 situé sur un ancien ruisseau appelé « le ruisseau des tziganes ». I.C. a investi une somme importante dans l'aménagement de ce chemin d'accès. Peu de temps après, la famille de M.I. occupa abusivement une parcelle de ce terrain et, même à ce jour, elle continue de le faire. Après l'adoption de la loi 18/1991, I.C. demanda l'attribution en propriété de ce terrain. Par décision no 7609/1993 du préfet, ce terrain, qui était inscrit sur le registre foncier sous le no 1358/3/C/1, lui fut attribué. En vertu de cette décision et après 'innombrables démarches, I.C. réussit à inscrire son droit sur le registre foncier.
Un faux projet de division du terrain est délivré
Bouleversée par cette situation, M.I. obtient en 1995 un nouveau projet de division du même terrain. Le projet, rédigé par l'ingénieur H.C., contenait quelques faux éléments. Tout d'abord, dans la rubrique « propriétaires avant la division » c'est l'Etat qui est inscrit comme propriétaire, bien que I.C. en fût propriétaire depuis 1993. Selon le projet, le terrain abusivement occupé devait être transféré dans la propriété de I.I. [l'époux de M.I.], sous le no 1358/3/C/a. En même temps, la présidente du tribunal introduisit auprès du préfet D.B. une plainte contre son voisin, en demandant l'annulation du titre de propriété qui lui avait été délivré. Le préfet la rejeta et lui conseilla de demander en justice l'annulation du titre, ce que M.I. fit. S'appuyant sur le faux projet de division, le maire demanda au préfet de délivrer à M.I. un titre de propriété sur le terrain dont le propriétaire était déjà I.C. Le préfet s'en rendit compte et informa M.I. que le terrain litigieux était la propriété de quelqu'un d'autre et que, par conséquent, il ne pouvait pas délivrer un autre titre, avant que la plainte contre le titre de I.C. soit tranchée par la cour d'appel de Cluj.
Le préfet change d'avis et enfreint la loi
Jusqu'ici tout est clair. Mais à partir de ce moment, interviennent quelques aspects pour le moins étranges. Par décision no 18 du 16 janvier 1996, la cour d'appel de Cluj rejeta l'action introduite par M.I. et sa famille. Le titre de propriété no 7609/1993 délivré à I.C. resta valable. Toutefois, le 23 janvier 1996, le préfet D.B. adopta la décision no 1037, aux termes de laquelle la présidente du tribunal et sa famille devenaient les propriétaires du terrain inscrit sous le no 1358/C/a, ainsi qu'il était mentionné dans le faux projet de division no 160/95 délivré par l'Autorité administrative pour les inscriptions immobilières et l'organisation du territoire. Il est ainsi certifié une chose absurde. Le même terrain est la propriété de deux personnes, les deux ayant des titres de propriété délivrés par le préfet D.B. Nous sommes donc en présence d'un faux et d'usage de faux. Le préfet D.B. en est le coupable, en raison des titres contradictoires qu'il a délivrés. Il a favorisé la présidente du tribunal, en lui délivrant un titre de propriété, après avoir lui-même reconnu qu'il ne pouvait pas lui attribuer un tel titre. D.B. a été pendant plusieurs années magistrat et président du tribunal départemental de Maramures.
M.I. lance des menaces par écrit
Finalement, nous portons à votre connaissance un document signé par M.I. dans lequel elle menace I.C. de le jeter en prison. « Monsieur C., je vous demande de faire attention aux paroles que vous m'adressez, parce que chaque chose a ses limites. Si vous m'insultez une seule fois encore, soit par écrit, soit verbalement, je vous poursuivrai en justice, en demandant votre condamnation pour insulte et calomnie et je demanderai aussi une indemnisation pour le préjudice moral que vous me causez. FAITES DONC ATTENTION. » I.C. avait eu « l'insolence » de l'accuser des faux mentionnés ci-dessus. La police de la ville de Baia Mare enquête sur cette affaire. »
12. Le 11 avril 1997, les deux requérants publièrent un article intitulé « L'ancien préfet du département de Maramures reconnaît qu'il a commis une erreur dans le cas de la présidente du tribunal de Baia Mare ». Une partie de l'article est reproduite ci-après :
« En vertu d'un document qui contenait de fausses informations, M.I. a demandé et a obtenu de la part du préfet D.B. un titre de propriété sur le terrain litigieux. Quand nous avons demandé au préfet des explications pour cette illégalité, il nous a répondu qu'il était bien possible qu'il ait commis une erreur. Mais le titre peut être contesté en justice, à tout moment, par la personne lésée, nous a-t-il déclaré. J'ai délivré ce titre sur la base des documents reçus de la part de la mairie de la ville de Baia Mare. S'il y avait de faux documents, je n'en suis pas responsable, a-t-il ajouté. Il n'a pas pu nous expliquer pourquoi initialement il avait officiellement refusé la délivrance du titre et qu'ensuite il avait changé d'avis et avait attribué la propriété à M.I. »
13. Le 26 avril 1997, le premier requérant publia un dernier article intitulé « Le parquet n'a pas le courage d'enquêter sur la présidente du tribunal de Baia Mare ». L'article est reproduit comme suit :
« Nous avons porté antérieurement à votre connaissance qu'une plainte pour faux a été portée auprès de la police et du parquet de Baia Mare à l'encontre de la présidente du tribunal de Baia Mare. Elle a abusivement occupé un terrain qui appartenait à un voisin. Ultérieurement, sur la base de documents qui contenaient de fausses informations, elle a obtenu un titre de propriété sur ce terrain. Après une enquête, la police a proposé au parquet une décision de non-lieu pour l'infraction de faux en écritures publiques, au motif qu'il s'agissait en l'espèce d'un droit d'accès sur un terrain et que par conséquent, le litige relevait du droit civil. Quant au volet pénal, aucune infraction n'a pu être retenue à la charge de M.I. Le document est signé par le procureur en chef du parquet auprès du tribunal de première instance de Baia Mare. »
B. La procédure pénale à l'encontre des requérants
14. En avril 1997, M.I. introduisit devant le tribunal de première instance de Baia Mare, qu'elle présidait à l'époque, une plainte à l'encontre des requérants pour diffamation. Elle demandait aussi une indemnisation pour préjudice moral.
15. Sur demande de M.I, le 29 août 1997, la Cour suprême de Justice ordonna le renvoi de l'affaire devant le tribunal de première instance de Năsãud.
16. Par jugement du 15 décembre 1997, le tribunal condamna le premier requérant pour diffamation à une peine de dix mois de prison assortie de la peine accessoire prévue par les articles 71 et 64 combinés du Code pénal, à savoir l'interdiction pendant la détention de l'exercice de sa profession, et de ses droits parentaux et électoraux. Pour établir le quantum de la peine, le tribunal prit en compte le fait que le requérant était en récidive, ayant été à deux reprises condamné auparavant.
17. Le tribunal retint que la mère de M.I avait légalement obtenu la propriété du terrain litigieux. Le tribunal estima que les allégations des requérants concernant les faux documents, leur usage et l'influence que la juge aurait exercée auprès des autorités locales, étaient très graves et avaient été faites d'une manière particulièrement diffamatoire, sans avoir de support concret. Il considéra que le caractère diffamatoire des allégations était prouvé par l'ordonnance de non-lieu du parquet rendue en faveur de M.I., qui démontrait le caractère mensonger des accusations de faux et d'usage de faux documents.
Le tribunal condamna également le second requérant pour diffamation à une amende de 500 000 lei roumains (ROL), à savoir l'équivalent de 62 euros (EUR), avec sursis.
Enfin, il condamna les deux requérants, solidairement avec le journal, au paiement de 30 millions ROL (à savoir l'équivalent de 1 582,42 EUR au moment du paiement) à M.I., au titre de préjudice moral.
18. Les requérants et M.I. interjetèrent appel de ce jugement devant le tribunal départemental de Bistriþa-Nãsãud.
Au cours de l'audience du 27 mars 1998, les requérants demandèrent leur acquittement et versèrent au dossier plusieurs documents visant à prouver la véracité de leurs affirmations : notamment les deux décisions du préfet attribuant le même terrain à deux personnes différentes et les deux projets de division du terrain en vertu desquels les deux décisions avaient été délivrées, les deux refus antérieurs du préfet d'attribuer le terrain en question à M.I., la décision du 16 janvier 1996 de la cour d'appel de Cluj–Napoca validant le titre de propriété d'I.C., la demande faite par la mairie en faveur de M.I, des extraits des registres fonciers, et l'ordonnance de non-lieu du parquet concernant le prétendu faux commis par la juge. Ils ajoutèrent que M.I. avait refusé la publication dans le journal d'une réponse à leurs articles. Le procureur et M.I. demandèrent leur condamnation, au motif qu'ils n'avaient pas fait la preuve de la véracité de leurs affirmations.
19. Par décision du 3 avril 1998, le tribunal départemental de Bistriþa Nãsãud rejeta les appels et confirma le bien-fondé du jugement du tribunal de première instance. Il souligna que, selon l'article 207 du code pénal, pour qu'une affirmation ne soit pas considérée comme diffamatoire elle devait remplir deux conditions : elle devait être véridique et elle devait viser la défense d'un intérêt légitime. Dès lors, il jugea qu'une affirmation pouvait être considérée diffamatoire si elle était destinée à nuire à autrui ou à se venger, même si les faits allégués étaient vrais. Le tribunal conclut qu'en l'espèce, les articles incriminés ne présentaient pas la vérité et qu'il était évident que les requérants n'avaient pas agi de bonne foi ou dans le souci de protéger certaines valeurs morales de la société, mais qu'au contraire, ils avaient voulu porter atteinte à la réputation de M.I.
20. Le 20 août 1998, le premier requérant fut placé en détention. Dans le rapport de l'enquête sociale effectuée le 26 août 1998 à son domicile, la Direction départementale pour la protection des droits de l'enfant mentionnait que le requérant vivait avec sa concubine et deux de leurs enfants issus de relations antérieures, et que, le 24 août 1998, un troisième enfant venait de naître.
Par décision du 22 septembre 1998, le tribunal départemental de Maramureş accueillit pour des raisons familiales, liées notamment aux trois enfants dont il avait la charge, la demande du premier requérant de surseoir à l'exécution de la peine. Il fut libéré le 5 octobre 1998.
Le 14 janvier 1999, le tribunal de première instance de Baia Mare rejeta une nouvelle demande du requérant de surseoir à l'exécution de la peine. Il ne fut pas réincarcéré par la suite.
Le 15 janvier 1999, le requérant commença une grève de la faim et fut hospitalisé à cause de son mauvais état de santé. Il souffrait aussi de tuberculose.
Le 19 janvier 1999, il demanda au Président de la République sa grâce, qui lui fut accordée par décret no 52 du 2 février 1999.
Le 31 mai 2002, le journal paya l'indemnité allouée à M.I., à la place des requérants. Le second requérant remboursa ultérieurement, par déductions mensuelles de son salaire, l'intégralité de cette somme.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
21. A. Code pénal roumain
Article 64
« L'interdiction d'un ou de plusieurs droits mentionnés ci-dessous peut être imposée comme peine complémentaire :
a) le droit de voter et d'être élu dans les organes de l'autorité publique ou à des fonctions électives publiques ;
b) le droit d'occuper une fonction impliquant l'exercice de l'autorité de l'État ;
c) le droit d'occuper une fonction, d'exercer un métier ou une activité dont le condamné s'est servi pour la commission de l'infraction ;
d) les droits parentaux ;
e) le droit d'être tuteur ou administrateur des biens d'un enfant. »
Article 71
« La peine accessoire consiste dans l'interdiction de tous les droits mentionnés à l'article 64.
La détention à perpétuité ou toute autre peine privative de liberté entraîne automatiquement l'interdiction des droits prévus à l'alinéa précédent, pour la période entre la condamnation définitive et jusqu'à la fin de la détention ou à l'intervention d'un décret de grâce qui dispense de l'exécution de la peine (...) »
Article 206
« L'affirmation ou l'imputation en public d'un certain fait concernant une personne, qui, s'il était vrai, exposerait cette personne à une sanction pénale, administrative ou disciplinaire, ou au mépris public, sera punie de trois mois à un an d'emprisonnement, ou d'une amende. »
Article 207
« La preuve de la vérité des affirmations ou des imputations peut être accueillie si l'affirmation ou l'imputation ont été commises pour la défense d'un intérêt légitime. Les affirmations au sujet desquelles la preuve de la vérité a été faite, ne constituent pas l'infraction d'insulte ou de diffamation. »
22. B. Décision no 184/2001 du 14 juin 2001 de la Cour constitutionnelle roumaine sur la constitutionnalité des articles 64 et 71 du Code pénal
« Quant à l'établissement des peines principales, complémentaires ou accessoires et aux conditions de leur application et de leur exécution, la Cour constate qu'il s'agit d'une matière qui relève exclusivement de la volonté du législateur. L'établissement par la loi d'une peine accessoire, à côté d'une peine principale privative de liberté, jusqu'à la fin de la détention, (...) représente une option de politique pénale du législateur, qui a considéré qu'au cours de la détention, le condamné est indigne d'exercer les droits prévus à l'article 64 du Code pénal. De ce fait, il n'y a aucune atteinte aux normes et principes constitutionnels. »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 10 DE LA CONVENTION
23. Les requérants estiment que leur condamnation constitue une ingérence injustifiée dans leur droit à la liberté d'expression. Ils invoquent l'article 10 de la Convention, aux termes duquel :
« 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. (...)
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, (...) pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »
A. Arguments des parties
1. Les requérants
24. Les requérants estiment que l'ingérence dans leur droit à la liberté d'expression n'était pas nécessaire dans une société démocratique.
Ils font valoir que leurs articles ne portaient pas sur la vie privée de M.I., mais sur ses actions et démarches, considérées comme illégales, auprès des plus hautes autorités administratives du département, dans le but de les convaincre de lui octroyer le droit de propriété sur un terrain qui appartenait déjà à une autre personne. Ils considèrent, dès lors, qu'il était de leur devoir de signaler à l'opinion publique les illégalités commises, justement par ceux qui ont l'obligation de faire respecter la loi.
25. Les requérants soutiennent que leurs affirmations avaient une base factuelle, à savoir l'octroi du terrain litigieux à M.I. par décision du préfet du 23 janvier 1996, bien qu'en 1995 le préfet ait refusé deux demandes similaires. De plus, la validité du titre de propriété d'I.C. sur le même terrain avait été confirmée par décision du 16 janvier 1996 de la cour d'appel de Cluj Napoca. Ils font également valoir que le projet de division du terrain sur la base duquel le préfet a attribué le terrain à M.I. était entaché de deux erreurs essentielles, reconnues par le préfet et par le Gouvernement, et qu'ils estiment êtres dues à l'influence de M.I.
26. Ils allèguent que leur bonne foi a été prouvée par le fait qu'ils ont essayé de présenter le point de vue de M.I., mais elle a refusé de leur parler. De plus, ils ont pris contact avec le préfet et ils ont publié ses explications.
27. En dernier lieu, les requérants soulignent que le montant élevé de l'indemnisation allouée à M.I. était disproportionné par rapport au préjudice moral subi et à leurs faibles revenus de journalistes. Quant à la peine de prison et aux peines accessoires imposées au premier requérant, ce dernier estime qu'elles étaient disproportionnées.
2. Le Gouvernement
28. Le Gouvernement admet qu'il y a eu une ingérence dans le droit des requérants à la liberté d'expression, mais il estime que l'ingérence répond aux exigences du paragraphe 2 de l'article 10 de la Convention.
Il soutient d'emblée que les journalistes ont été condamnés pour la manière dont ils ont présenté un litige de droit privé entre la présidente du tribunal de Baia Mare et un tiers, qui était loin de concerner un débat d'intérêt général.
29. Le Gouvernement soutient en outre que les requérants ont attribué à M.I des faits illégaux très graves, à savoir l'usage de faux documents, sans les avoir prouvés et sans qu'ils reposent sur une base factuelle. Il fait valoir que le projet de division du terrain, sur la base duquel M.I. avait demandé au préfet la délivrance du titre de propriété, constituait une simple proposition de démembrement de la propriété de l'État, que le préfet avait acceptée. Par conséquent, bien qu'il y ait eu des erreurs dans le processus d'attribution de la propriété, ce que le Gouvernement concède, il considère que M.I. n'a nullement enfreint la loi par l'obtention du titre de propriété fondé sur le nouveau projet de division.
30. Le Gouvernement soutient également que la publication des articles incriminés constituait un manquement à l'éthique journalistique, car les requérants n'étaient pas de bonne foi. Le Gouvernement est d'avis que les requérants ont prouvé leur subjectivité en se plaçant exclusivement du point de vue de l'une des parties du litige, sans présenter la position de l'autre.
31. Il conclut qu'en l'absence de bonne foi et de base factuelle pour leurs allégations, la condamnation des journalistes était nécessaire pour la protection de la réputation de M.I. et que, dès lors, le montant de l'indemnisation pour préjudice moral était justifié par la gravité de l'atteinte à la réputation de M.I.
32. Quant au premier requérant, le Gouvernement soutient que la peine de dix mois de prison a été imposée uniquement en raison du fait qu'il était en récidive, car, dans ces conditions, la loi permet une aggravation de la peine.
B. Appréciation de la Cour
1. Principes généraux
33. La Cour rappelle que, selon une jurisprudence bien établie, la presse joue un rôle essentiel dans une société démocratique : si elle ne doit pas franchir certaines limites, tenant notamment à la protection de la réputation et aux droits d'autrui, il lui incombe néanmoins de communiquer, dans le respect de ses devoirs et de ses responsabilités, des informations et des idées sur toutes les questions d'intérêt général y compris celles qui concernent le fonctionnement du pouvoir judiciaire (De Haes et Gijsels c. Belgique, arrêt du 24 février 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-I, pp. 233-234, § 37).
34. Si les États contractants jouissent d'une certaine marge d'appréciation pour juger de la nécessité d'une ingérence en la matière, une telle marge se double d'un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l'appliquent (Sunday Times c. Royaume Uni (no 2), arrêt du 26 novembre 1991, série A no 217, p. 29, § 50).
35. Dans l'exercice de son contrôle, la Cour doit analyser l'ingérence litigieuse à la lumière de l'ensemble de l'affaire, y compris la teneur des propos du requérant et le contexte dans lequel ils ont été exprimés, pour déterminer si elle était fondée sur « un besoin social impérieux », « proportionnée au but légitime poursuivi » et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants » (Sunday Times, précité, § 50 et Nikula c. Finlande, no 31611/96, § 44, CEDH 2002-II).
36. La nature et la lourdeur des peines infligées sont aussi des éléments à prendre en considération lorsqu'il s'agit de mesurer la proportionnalité de l'ingérence (Perna c. Italie [GC], no 48898/99, § 39, CEDH 2003-V).
2. Application en l'espèce des principes susmentionnés
37. Il n'est pas contesté que la condamnation constituait « une ingérence d'une autorité publique » dans le droit des requérants à la liberté d'expression, qu'elle était « prévue par la loi » et qu'elle poursuivait un but légitime, « la protection de la réputation (...) d'autrui ». Reste à savoir si l'ingérence était « nécessaire dans une société démocratique ».
38. La Cour relève que les articles incriminés portaient sur des thèmes d'intérêt général et particulièrement actuels pour la société roumaine, à savoir le processus de restitution des terrains et la corruption alléguée parmi les hauts fonctionnaires de l'administration. S'il s'avère souvent nécessaire de protéger les magistrats des attaques graves et dénuées de tout fondement, il est vrai aussi que leur attitude, même en dehors des tribunaux et surtout quand ils se servent de leur qualité de magistrats, peut constituer une préoccupation légitime de la presse et contribue au débat sur le fonctionnement de la justice et la moralité de ceux qui en sont les garants.
Dès lors, la Cour doit faire preuve de la plus grande prudence lorsque, comme en l'espèce, les mesures prises ou les sanctions infligées par l'autorité nationale sont de nature à dissuader la presse de participer à la discussion des problèmes d'un intérêt général légitime (Bladet Tromsø et Stensaas c. Norvège, [GC], no 21980/93, CEDH 1999-III, § 64).
39. Certes, les allégations des requérants étaient graves, dans la mesure où elles accusaient la juge d'avoir commis des illégalités, mais la Cour note qu'elles avaient une base factuelle (a contrario, Barfod c. Danemark, arrêt du 22 février 1989, série A no 149, § 35 ; Perna, précité, § 47). La Cour relève que rien ne prouve que les faits décrits étaient totalement faux et servaient à entretenir une campagne diffamatoire à l'égard de la juge en question. Elle observe également que les articles incriminés ne portaient pas sur des aspects de la vie privée de M.I., mais sur ses comportements et attitudes impliquant sa qualité de magistrate (mutatis mutandis, Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 50, CEDH 1999-VI).
Ainsi qu'il ressort des articles litigieux et des documents versés par les requérants au dossier devant le tribunal départemental, l'administration locale avait commis une faute grave, reconnue par le préfet, dans le processus de restitution des terrains. En effet, par décision du 23 janvier 1996, le préfet avait octroyé à M.I. un titre de propriété sur le terrain litigieux, bien que, sept jours auparavant, la validité du titre de propriété d'I.C. sur le même terrain ait été confirmée par décision de la cour d'appel de Cluj Napoca.
40. La Cour remarque également que le tribunal départemental n'a pas examiné les preuves fournies par les requérants au cours de l'audience du 27 mars 1998, mais qu'il a confirmé le bien-fondé du jugement de première instance qui avait estimé que le non-lieu prononcé par le parquet en faveur de M.I. suffisait à établir que les informations contenues dans les articles étaient fausses.
41. Compte tenu du fait que les requérants ont tenté de prendre contact avec M.I et qu'ensuite, ils ont interrogé le préfet et présenté sa position, la Cour estime qu'il n'y pas de raisons non plus de douter de leur bonne foi.
42. Quant aux peines prononcées, la Cour observe qu'elles étaient particulièrement sévères. Le premier requérant a été condamné à dix mois de prison dont il a effectué quarante-cinq jours, tandis que le second requérant a été condamné à une amende pénale, avec sursis. Tous deux ont été condamnés à payer à M.I. une indemnisation pour préjudice moral de 30 millions ROL, à savoir 1 582,42 EUR au moment du paiement, soit l'équivalent de douze fois le montant du salaire mensuel moyen.
43. La Cour estime donc que la condamnation des requérants était disproportionnée par rapport au but légitime poursuivi et que les autorités nationales n'ont pas fourni des motifs pertinents et suffisants pour la justifier.
Partant, il y a eu violation de l'article 10.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
44. Le premier requérant allègue que l'interdiction de ses droits parentaux a porté atteinte à son droit au respect de sa vie familiale, garanti par l'article 8 de la Convention, aux termes duquel:
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, (...)
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (...) à la prévention des infractions pénales, (...) ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
Il soutient que l'interdiction totale et absolue d'exercer ses droits parentaux pendant la détention et jusqu'à l'obtention de la grâce présidentielle, y compris donc pendant la période où il a été libéré provisoirement pour des raisons familiales et médicales, constitue une ingérence grave dans son droit au respect de sa vie familiale, qui n'est pas justifiée par la prise en compte de l'intérêt des enfants.
45. Le Gouvernement fait valoir que l'interdiction des droits parentaux, comme peine accessoire, s'applique automatiquement, dès qu'une privation de liberté est prononcée. Il souligne que la détention entraîne inévitablement des restrictions à l'exercice normal de la vie familiale et que, de plus, pendant la détention, le condamné n'a plus l'autorité morale pour exercer ses droits parentaux.
46. La Cour note d'emblée que l'interdiction des droits parentaux du premier requérant constitue une ingérence dans son droit au respect de sa vie familiale.
Elle relève qu'il n'est pas contesté, en l'espèce, que l'interdiction se fondait sur les articles 64 et 71 du Code pénal et, partant, qu'elle était prévue par la loi, au sens du premier paragraphe de l'article 8. Reste à savoir si l'ingérence poursuivait un but légitime. A cet égard, la Cour note que, de l'avis du Gouvernement, elle visait la préservation de la sécurité, de la moralité et de l'éducation des mineurs.
47. La Cour rappelle que, dans les affaires de ce type, l'examen de ce qui sert au mieux l'intérêt de l'enfant est toujours d'une importance cruciale (Johansen c. Norvège, arrêt du 7 août 1996, Recueil 1996-III, § 64), que l'intérêt de l'enfant doit passer avant toute considération et que seul un comportement particulièrement indigne peut autoriser qu'une personne soit privée de ses droits parentaux dans l'intérêt supérieur de l'enfant (Gnahore c. France, no 40031/98, § 59, CEDH 2000-IX et Johansen, précité, § 78 ).
48. La Cour observe que l'infraction pour laquelle le requérant a été condamné était totalement étrangère aux questions liées à l'autorité parentale et qu'à aucun moment, il n'a été allégué un manque de soins ou des mauvais traitements de sa part envers ses enfants.
La Cour relève qu'en droit roumain, l'interdiction d'exercer les droits parentaux s'applique automatiquement et d'une manière absolue à titre de peine accessoire à toute personne qui exécute une peine de prison, sans aucun contrôle de la part des tribunaux et sans aucune prise en considération du type d'infraction et de l'intérêt des mineurs. Dès lors, elle constitue plutôt un blâme moral ayant comme finalité la punition du condamné et non pas une mesure de protection de l'enfant.
49. Eu égard ces circonstances, la Cour estime qu'il n'a pas été démontré que le retrait en termes absolus et par effet de la loi des droits parentaux du premier requérant répondait à une exigence primordiale touchant aux intérêts des enfants et partant, qu'il poursuivait un but légitime, à savoir la protection de la santé, de la morale, ou de l'éducation des mineurs.
Par conséquent, il y a eu violation de l'article 8 de la Convention en ce qui concerne le premier requérant.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 13 COMBINÉ AVEC L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
50. Le premier requérant fait valoir qu'il n'a pas disposé d'un recours effectif en droit interne pour contester l'interdiction de ses droits parentaux. Il invoque l'article 13 de la Convention, aux termes duquel :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »
51. Le Gouvernement soutient que le requérant aurait pu soulever devant le tribunal départemental une exception d'inconstitutionnalité de l'article 71 du Code pénal et demander le renvoi de l'affaire devant la Cour constitutionnelle.
52. La Cour rappelle que l'article 13 de la Convention exige un recours pour les griefs que l'on peut estimer « défendables » au regard de la Convention (Boyle and Rice c. Royaume-Uni, arrêt du 27 avril 1988, Série A no 131, § 52). Ce recours doit être effectif et doit habiliter la juridiction nationale compétente à connaître du contenu du grief et à offrir le redressement approprié (Klass et autres c. Allemagne, arrêt du 6 septembre 1978, Série A. no 28, § 64).
53. En l'espèce, le caractère « défendable » du grief tiré de l'article 8 de la Convention ne fait pas de doute puisque la Cour a jugé que le retrait des droits parentaux s'analyse en une ingérence dans l'exercice du droit du requérant au respect de sa vie familiale. Reste à déterminer si le recours devant la Cour constitutionnelle était effectif en pratique comme en droit et habilitait la juridiction nationale compétente à connaître de ce grief et à offrir le redressement approprié.
54. La Cour souligne qu'en droit roumain, le retrait de l'autorité parentale découle de la loi et est automatique, à titre de peine accessoire, dès lors qu'une personne exécute une peine de prison.
Pour autant que le Gouvernement allègue que les requérants auraient eu la possibilité de soulever l'exception d'inconstitutionnalité des articles 64 et 71 du Code pénal et de demander le renvoi devant la Cour constitutionnelle, la Cour réitère son constat lors de l'examen de la recevabilité du grief tiré de l'article 8 de la Convention, selon lequel cette voie de recours ne leur était pas accessible, car il ne leur était pas loisible de soumettre directement à la Cour constitutionnelle l'exception d'inconstitutionnalité mentionnée (mutatis mutandis, Pantea c. Roumanie (déc.), no 33343/96, 6 mars 2001).
55. En tout état de cause, la Cour observe que la Cour constitutionnelle s'était prononcée, par décision du 14 juin 2001 (paragraphe 22 ci-dessus), sur la constitutionnalité de cet article, et l'a jugé conforme à la Constitution, en retenant que l'établissement des peines accessoires, même de manière automatique, relève de la politique pénale du législateur.
56. Dans ces circonstances, la Cour considère que la possibilité, pour le requérant, de soulever l'exception d'inconstitutionnalité des articles 64 et 71 du Code pénal, et de demander le renvoi devant la Cour constitutionnelle, ne constituait pas une voie de recours effectif, de nature à offrir de redressement approprié au grief tiré de l'article 8 de la Convention.
Par conséquent, il y a eu violation de l'article 13 combiné avec l'article 8 de la Convention en ce qui concerne le premier requérant.

IV. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
57. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
58. Le premier requérant réclame 50 000 EUR pour le préjudice moral subi en raison de sa condamnation pénale à dix mois de prison, dont il a effectué quarante-cinq jours, du retrait de ses droits parentaux et de l'aggravation de son état de santé.
Le second requérant demande à la Cour 1 582,42 EUR au titre des indemnités civiles allouées à M.I., montant qu'il a remboursé au journal qui l'avait provisoirement acquitté à leur place. Il fait valoir qu'il a également versé la part du premier requérant, car celui-ci ne disposait pas de ressources suffisantes.
Il sollicite en outre 5 000 EUR pour le préjudice moral subi du fait de sa condamnation pénale et de l'inscription de celle-ci au casier judiciaire.
59. Le Gouvernement n'a pas soumis de commentaires sur ce point.
60. La Cour constate qu'il existe un lien de causalité entre la violation de l'article 10 et l'obligation faite aux requérants de payer solidairement 1 582,42 EUR en réparation du préjudice subi par la juge M.I.
La Cour octroie donc ce montant (1 582,42 EUR) au second requérant, qui l'a effectivement versé.
61. En ce qui concerne le préjudice moral, la Cour estime que les requérants ont subi un tort moral indéniable en raison de leur condamnation pénale. Elle note que le premier requérant a été condamné à une peine de dix mois de prison dont il a effectué quarante-cinq jours, tandis que le second requérant a été condamné à une amende pénale avec sursis. A cela s'ajoute pour le premier requérant le retrait des droits parentaux sur les enfants dont il avait la charge.
62. Compte tenu des circonstances de la cause et statuant en équité comme le veut l'article 41, la Cour octroie en réparation du préjudice moral la somme de 5 000 EUR au premier requérant et de 1 000 EUR au second requérant.

B. Frais et dépens
63. Le premier requérant sollicite le remboursement de 670 EUR pour les frais engagés dans le cadre de la procédure interne, qu'il ventile comme suit :
a) 130 EUR au titre des frais pour les déplacements en vue d'assister aux audiences ;
b) 450 EUR au titre des frais encourus au cours de la détention et de sa grève de la faim pour l'achat de médicaments, de nourriture et pour les visites de son épouse ;
c) 80 EUR pour frais divers (photocopies, téléphone, etc.).
Le second requérant demande le remboursement de 210 EUR dans le cadre de la procédure interne pour frais de déplacement (130 EUR) et frais divers (80 EUR).
Les requérants sollicitent le remboursement de 9 771,78 EUR d'honoraires pour le travail accompli par leur avocate dans la procédure devant la Cour. A titre justificatif, ils fournissent la copie de la convention d'honoraires, conclue le 17 octobre 2003 avec leur avocate, ainsi que le décompte de 99 heures de travail et des tarifs horaires perçus par celle-ci. L'avocate s'est également engagée à ne pas exiger le paiement de ses honoraires jusqu'à ce que les requérants disposent de ressources suffisantes.
64. Le Gouvernement n'a pas soumis de commentaires sur ce point.
65. La Cour observe que les requérants n'ont nullement justifié les frais encourus dans le cadre des procédures internes dont ils demandent le remboursement. En conséquence, elle décide de ne pas allouer de somme à ce titre.
66. En ce qui concerne les frais de la procédure devant la Cour, elle doit rechercher s'ils ont été réellement et nécessairement exposés par les requérants et s'ils sont raisonnables quant à leur taux (Nilsen et Johnsen c. Norvège [GC], no 23118/93, § 62, CEDH 1999-VIII).
Pour autant que les requérants n'ont pas encore versé les honoraires dus à leur avocate, la Cour rappelle que le remboursement d'honoraires ne doit pas se limiter aux seules sommes déjà versées par les intéressés à leurs avocats, car, ainsi qu'elle a déjà statué, une telle interprétation constituerait un facteur décourageant, pour bien d'avocats, de représenter devant la Cour des requérants moins aisés (Zdanoka c. Lettonie, no 58278/00, § 123, arrêt du 17 juin 2004). Elle a toujours accordé le remboursement des frais et dépens dans les situations où les honoraires restaient, au moins en partie, dus par les requérants (Kamasinski c. Autriche, arrêt du 19 décembre 1989, série A no 168, § 115 ; Iatridis c. Grèce [GC] (satisfaction équitable), no 31107/96, § 55, CEDH 2000-XI).
67. En l'espèce, bien que la convention d'honoraires soit conclue après la décision sur la recevabilité de la requête, rien ne montre qu'elle serait factice.
Toutefois, la Cour estime que le montant global réclamé par les requérants au titre d'honoraires d'avocat est quelque peu excessif.
Dans ces conditions et compte tenu des éléments en sa possession, ainsi que de sa jurisprudence en la matière, la Cour, statuant en équité, comme le veut l'article 41 de la Convention, estime raisonnable d'octroyer conjointement aux requérants la somme de 4 000 EUR pour la procédure devant la Cour.
C. Intérêts moratoires
68. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Dit qu'il y a eu violation de l'article 10 de la Convention ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 8 de la Convention en ce qui concerne le premier requérant ;
3. Dit qu'il y a eu violation de l'article 13 de la Convention en ce qui concerne le premier requérant ;
4. Dit
a) que l'Etat défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i. 1 582,42 EUR (mille cinq cent quatre-vingt-deux euros et quarante-deux centimes) au second requérant pour dommage matériel ;
ii. 5 000 EUR (cinq mille euros) au premier requérant pour dommage moral ;
iii. 1 000 EUR (mille euros) au second requérant pour dommage moral ;
iiii. 4 000 EUR (quatre mille euros) conjointement aux requérants pour frais et dépens ;
b) que ces sommes sont à convertir en lei roumains au taux de change applicable à la date du versement ;
c) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 28 septembre 2004 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
S. Dollé J.-P. CostaGreffière Président

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